Egonia et Félicité sont jumelles. Elevées par leur mère dans une bergerie d’un petit village de l’arrière-pays niçois, elles sont un peu particulières : Félicité, qui s’est installée à Nice, voit les fantômes et sait leur parler tandis qu’Egonia a tout d’une sorcière, avec ces insectes aux capacités étranges jaillissant de sa bouche. Après trente ans de séparation, elles se retrouvent pour chercher le fantôme de leur mère, dont Félicité a découvert qu’elle avait certainement vécue 150 ans.
Deuxième roman de Chris Vuklisevic, Du Thé pour les fantômes est très différent de Derniers jours d’un monde oublié : l’autrice passe d’une fantasy au worldbuilding riche à un roman fantastique intimiste. Car ce nouveau récit est une histoire de famille, de son éclatement et de ses retrouvailles plusieurs décennies après. Ces trois femmes, la mère et ses deux filles jumelles, disposent chacune de pouvoirs très particuliers qui les ont éloignés plus que rapprochés et c’est par le truchement d’un narrateur extérieur à la famille (le seul homme réellement présent dans le livre) que nous est raconté l’histoire de Félicité, élevée dans cette bergerie, partie à la ville à dix-sept ans et devenue une détective un peu particulière, capable de parler aux morts et de faire parler ses clients grâce à des thés aux capacités surnaturelles. Mais l’autrice ne se contente pas de cette histoire de famille fantastique : elle plante aussi le décor dans une région qu’elle connait bien et qu’elle nous fait découvrir avec son vocabulaire propre et l’agrémente de personnages secondaires riches, notamment Marine, la spécialiste du thé, dompteuse de théières, qui transmettra son savoir à Félicité.
Récit tout en lenteur et en virages, Du Thé pour les fantômes risque de désarçonner les lecteurs les plus frileux. Les chapitres s’enchaînent à un rythme et avec une narration très variables, perdant parfois le lecteur pour mieux le retrouver un peu plus loin, et l’autrice n’hésite pas à expérimenter pour mieux permettre d’accéder aux pensées de ses personnages. Mais on est rapidement happé par cette plume immersive et il est difficile de ne pas continuer la lecture même quand on se sent un peu perdu.
Quête familiale, retour aux sources, récit poétique, journal de voyage, roman fantastique, on trouve un peu tout cela dans ce livre qu’il est difficile de réduire à quelques mots. Loin des sentiers battus, Du Thé pour les fantômes est un roman original et envoutant extrêmement convaincant. Roman très personnel, il confirme le talent de son autrice et les progrès accomplis depuis son premier livre sont évidents.