Voici donc paris coupé en deux par un long mur, et la soldatesque soviétique qui quadrille la zone est appelle cette ville parij. Dans la partie rouge, un agent des services de sécurité, bernard neuvil, a pour mission de surveiller la correspondance entre une violoniste, clara banine, et romain morvan, grand écrivain que l'on vient d'expulser vers l'ouest. cet agent ira jusqu'à s'introduire dans leur correspondance et s'identifier à sa " proie " ; c'est que morvan, dit-on, a laissé derrière lui le manuscrit d'un livre dangereux pour le numéro un.
Des buttes-chaumont à montmartre, neuvil traquera ce manuscrit tout en étant lui-même traqué, sans plus savoir dans quel camp il joue, s'il veut livrer ce manuscrit ou le sauver, aider la littérature ou la combattre. peut-être est-ce clara banine qui, en fin de compte, détient la clé de ces questions ?
Il paraît que tous les ouvrages d'Éric Faye, l'auteur de Parij (Paris en russe, mais en graphie latine), touchent soit au fantastique soit à la science-fiction, mais que leur auteur refuse de se considérer comme « écrivain de genre ». C'est son droit le plus strict, quoique la position esthétique consistant à s'approprier un genre en le niant me soit toujours apparue d'une logique passablement hermétique. S'étonnera-t-on, après cela, de voir ce roman dévier de ses prémisses pour épouser la thématique la plus littéraire qui soit : l'importance de l'œuvre d'art ?... La vie, on le sait, n'est rien pour l'artiste — seule sa création compte. (Et on reproche à la SF de verser dans le solipsisme...)
Pourtant, Parij est alléchant. Il s'agit d'une uchronie. Simpliste : en 1944, la Wehrmacht a repoussé les Américains dans les Ardennes, en les poursuivant à travers la France, mais le Reich était lui-même poursuivi par l'Armée rouge ! Résultat, une France soviétisée et satellisée, Paris coupé en deux par un Mur... (Il y a des trouvailles, comme le fait que la tâche ait dû s'avérer plus difficile qu'à Berlin, le mur devant aussi être souterrain par la faute des catacombes, carrières et autres métros...) Prétexte également : on sent que l'auteur est plus intéressé par les pions qu'il pose que par cette Histoire divergente.
Mais dans ce cas, pourquoi une uchronie ? Pourquoi n'avoir pas situé ce roman à Berlin, avant, pendant et après la chute du Mur (puisque ceci nous est conté) ? Pourquoi avoir transposé si artificiellement dans les mœurs françaises l'aspect kafkaïen des administrations de l'Est ? Le but poursuivi demeure flou. Certes, le nom de plume de l'écrivain censuré et expulsé, Morvan, pourrait faire songer à un défunt président de la République. Rien ne le confirme.
L'intrigue traque un manuscrit que Morvan n'a pu faire sortir : la censure cherche, Morvan et son ex-petite amie errent chacun de son côté, les fonctionnaires tremblent. Une belle idée : Neuvil, le censeur-espion, qui fait réécrire les lettres de Morvan à sa maîtresse, basculant in fine dans la dissidence. Enfin le régime et le mur tombent, après que le Numéro Un eut tenté, Ceaucescu parallèle, de reconstruire Paris dans les plaines du Nord. Morvan fait son deuil de son œuvre. Rayon spéculation et imaginaire, le lecteur reste sur sa faim. Demeure une variation sur le thème du samizdat, mais dont l'urgence et la nécessité manquent d'évidence.