[Critiques des livres suivants :
- Un arbre de nuit de Truman Capote : Gallimard
- L'Œil de la Tempête de Marcel Bisiaux, Gallimard
- Légendes du Guatémala de Miguel Angel Asturias, Gallimard La Croix du Sud]
Côté fantastique, la production du mois écoulé a été en revanche extrêmement intéressante et, bien que se ressemblant par un certain nombre de points, fort variée.
Nous ne connaissions l’auteur américain Truman Capote que comme romancier et dramaturge. Avec « Un arbre de nuit » (Gallimard), il se révèle aussi comme un conteur en pleine possession de son talent. Les huit nouvelles dont se compose ce recueil ont toutes la Fatalité pour thème. Certains sont drôles (La Bonbonne d’Argent et Ma Version des Événements), d’autres suspense (Miriam et Monsieur Maléfique), cependant que les troisièmes ont tout d’un cauchemar (L’Épervier sans Tête et Un Arbre de Nuit). Il serait plus difficile de classer dans une catégorie « Tels des Enfants…» ou « Une dernière porte est close ». Mais toutes les huit ont en commun une espèce d’irréalité atrocement lucide par moments, d’une observation juste jusqu’à la cruauté. On y remarque aussi l’extrême tendresse de Capote pour les enfants (surtout terribles) et son ironie nullement méchante pour les anormaux quels qu’ils soient (chose curieuse, on a l’impression, en lisant ce volume, que peu de gens sont normaux). En résumé, un recueil remarquable que nous vous recommandons très chaudement, si vous aimez les récits sortant de l’ordinaire.
Sous bien des aspects, Marcel Bisiaux est proche de Capote. Son « Œil de la Tempête » (Gallimard) contient vingt-cinq contes dont la plupart sont excellents et quelques-uns extraordinairement réussis. Tous baignent dans un atmosphère de rêve plus ou moins nette. Il y en a de fort spirituels (Le Président du Conseil) et de poignants (Le Hasard est aveugle), d’atroces (Une vie de chat) et de grotesques (Le Conducteur), de courtelinesques presque (La Noce) et de carrément fantastiques (La Poursuite). Comme chez Capote, la Fatalité (ou, si l’on aime mieux, le Sort), semble jouer un grand rôle chez Bisiaux. Mais si nous avions à comparer ces contes à ceux d’un autre écrivain, c’est à Poe probablement que nous songerions (tout au moins pour une demi-douzaine d’entre eux), un Poe qui, ô chose étrange, aurait vu « Le Sang d’un Poète » de Cocteau ou « L’Âne mort » de Bunuel et qui en aurait gardé le souvenir intact pendant une vingtaine d’années.
On sait que les auteurs ibéro-américains ont une grande prédilection pour les atmosphères étranges et ceci est vrai même de ceux qui écrivent du policier (Jorge Luis Borges notamment, dont nous vous rappelons le remarquable volume de nouvelles Fictions). Voilà que, dans sa collection « La Croix du Sud » (Gallimard), Roger Caillois nous présente « Légendes du Guatemala » de Miguel Angel Asturias (dans une excellente traduction de Francis de Miomandre). En les lisant, on se rend compte que cet amour du fantastique, chez nos confrères d’Amérique du Sud et d’Amérique Centrale, est en quelque sorte traditionnel. Si l’on a été élevé en écoutant de tels récits, quoi d’étonnant à ce qu’ils vous marquent pour la vie et se reflètent dans toute votre œuvre littéraire ? Le recueil de Miguel Angel Asturias n’est pas d’une lecture facile, il demande une certaine concentration, mais votre persévérance sera récompensée. C’est poétique, imagé, atmosphérique et extrêmement curieux. Légendes et fantastique sont souvent synonymes. Mais que ce fantastique d’Amérique centrale est donc différent du nôtre, plus chaud, plus sensuel presque ! Et leur symbolisme n’est pas loin de nous faire croire qu’il convient de rechercher l’origine des légendes guatémaltèques dans celles de l’Atlantide.
Igor B. MASLOWSKI
Première parution : 1/4/1954 dans Fiction 5
Mise en ligne le : 24/2/2025