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Les Nuits difficiles

Dino BUZZATI

Titre original : Le Notti difficili, 1971   ISFDB
Traduction de Michel SAGER

Robert LAFFONT (Paris, France), coll. Pavillons poche précédent dans la collection suivant dans la collection
Date de parution : 12 octobre 2023
Dépôt légal : octobre 2023
Réédition
Recueil de nouvelles, 352 pages, catégorie / prix : 10 €
ISBN : 978-2-221-27260-2
Format : 12,2 x 18,2 cm
Genre : Imaginaire


Quatrième de couverture

On retrouve, dans les cinquante et un textes réunis, les thèmes les plus chers à l’auteur : l’inquiétude liée à l’attente, le temps qui passe, les cauchemars, la magie présente là où on ne l’attend pas… Chaque nouvelle révèle, dans une douce lucidité et avec l’ironie chère à Buzzati, les travers et les absurdités de notre quotidien, malmenant les dogmes de l’argent, du pouvoir et les vanités de l’homme moderne. On retrouve l'extraordinaire don de Buzzati, magicien des mots et des formes, mêlant virtuosité et talent, économie et précision, générosité et humour, dans un univers toujours à la frontière du surnaturel.

« Dans ses récits chargés de symboles, Buzzati fait toujours preuve d'un style simple et limpide, qu'il utilise avec la même précision méticuleuse pour le quotidien et l'extraordinaire. »
           Le Monde

Sommaire
Afficher les différentes éditions des textes
1 - Delphine GACHET, Préface, préface
2 - Le Croquemitaine (Il Babau), nouvelle, trad. Michel SAGER
3 - Solitudes (Solitudini), nouvelle, trad. Michel SAGER
4 - Equivalence (Equivalenza), nouvelle, trad. Michel SAGER
5 - L'Ecueil (Lo scoglio), nouvelle, trad. Michel SAGER
6 - Personne ne croira (Nessuno crederà), nouvelle, trad. Michel SAGER
7 - Lettre ennuyeuse (Lettera noiosa), nouvelle, trad. Michel SAGER
8 - L'Influence des astres (L'influsso degli astri), nouvelle, trad. Michel SAGER
9 - Alias rue Sésostris (Alias in via Sesostri), nouvelle, trad. Michel SAGER
10 - Contestation globale (Contestazione globale), nouvelle, trad. Michel SAGER
11 - Trois histoires de Vénétie (Tre storie del Veneto), nouvelle, trad. Michel SAGER
12 - L'Épuisement (Il logorio, 1965), nouvelle, trad. Michel SAGER
13 - Accidents de la route (Incidenti stradali), nouvelle, trad. Michel SAGER
14 - Boomerang (Boomerang), nouvelle, trad. Michel SAGER
15 - Monstres modernes (Moderni mostri), nouvelle, trad. Michel SAGER
16 - Délicatesse (Delicatezza), nouvelle, trad. Michel SAGER
17 - Le Médecin des fêtes (Il medico delle feste), nouvelle, trad. Michel SAGER
18 - Petites histoires d'auto (Storielle d'auto), nouvelle, trad. Michel SAGER
19 - La Tour (La Torre), nouvelle, trad. Michel SAGER
20 - L'Honneur du nom (Il buon nome), nouvelle, trad. Michel SAGER
21 - L'Ermite (L'eremita), nouvelle, trad. Michel SAGER
22 - Cendrillon (Cenerentola), nouvelle, trad. Michel SAGER
23 - Que se passera-t-il le 12 octobre ? (Che accadrà il 12 ottobre?), nouvelle, trad. Michel SAGER
24 - Chez le médecin (Dal medico), nouvelle, trad. Michel SAGER
25 - Les Scribes (Gli scrivani), nouvelle, trad. Michel SAGER
26 - Désirs erronés (Desideri sbagliati), nouvelle, trad. Michel SAGER
27 - La Croquette (La polpetta), nouvelle, trad. Michel SAGER
28 - Le Rêve de l'escalier (Il sogno della scala), nouvelle, trad. Michel SAGER
29 - Crescendo (Crescendo), nouvelle, trad. Michel SAGER
30 - Le Papillon (La farfalletta), nouvelle, trad. Michel SAGER
31 - Mosaïque (Mosaico), nouvelle, trad. Michel SAGER
32 - Tic-tac (Tic Tac), nouvelle, trad. Michel SAGER
33 - Anecdotes de la ville (Fatterelli di città), nouvelle, trad. Michel SAGER
34 - Vieille auto (Vecchia auto), nouvelle, trad. Michel SAGER
35 - Changements (Cambiamenti), nouvelle, trad. Michel SAGER
36 - Récits à deux voix (Racconto a due), nouvelle, trad. Michel SAGER
37 - Délices modernes (Delizie moderne), nouvelle, trad. Michel SAGER
38 - Icare (Icaro), nouvelle, trad. Michel SAGER
39 - Inventions (Invenzioni), nouvelle, trad. Michel SAGER
40 - Vitesse de la lumière (Velocità della luce), nouvelle, trad. Michel SAGER
41 - Bestiaire (Bestiario), nouvelle, trad. Michel SAGER
42 - L'Aliénation (L'alienazione), nouvelle, trad. Michel SAGER
43 - Progression (Progressioni), nouvelle, trad. Michel SAGER
44 - Une soirée difficile (Una serata difficile), nouvelle, trad. Michel SAGER
45 - Vergetures du temps (Smagliature del tempo), nouvelle, trad. Michel SAGER
46 - Lettres d'amour (Lettera d'amore), nouvelle, trad. Michel SAGER
47 - Petits mystères (Piccoli misteri), nouvelle, trad. Michel SAGER
48 - Au sommet de la vague (Sulla cresta dell'onda), nouvelle, trad. Michel SAGER
49 - Les Vieux clandestins (I vecchi clandestini), nouvelle, trad. Michel SAGER
50 - L'Éléphentiasis (L'elefantiasi), nouvelle, trad. Michel SAGER
51 - Clair de lune (Plenilunio), nouvelle, trad. Michel SAGER
52 - L'Épouse ailée (La moglie con le ali), nouvelle, trad. Michel SAGER
Critiques des autres éditions ou de la série
Edition Robert LAFFONT, Pavillons (1973)

     Je vais vous raconter une histoire : « Au temps des grandes invasions, un jeune et riche citadin, appelé Giuseppe Godrin, se construisit, sur la limite septentrionale de la cité, une très haute tour, avec une chambre au sommet, pour y passer la plus grande partie de ses journées.
     De là-haut on dominait un long morceau de la route qui conduisait vers le nord, dans la direction des montagnes où passait la frontière. » Godrin redoutait par-dessus tout les hordes de Saturnes, réputés pour leur cruauté. Il passa des années sur sa tour, sans jamais rien voir venir sur les routes du nord. Inquiet, il alla consulter son vieux professeur de grec et de latin, qui lui apprit que les Saturnes étaient bien venus. « Ils sont venus, ils ont passé, ils sont partis. » Seulement « ils ne sont pas venus par la route du nord, ils sont venus par la route du sud ». Et le pire, c'est qu'ils reviennent tous les jours, pour piller et dévaster. Mais on ne les voit pas. Ils arrivent souterrainement. « Ils ne chargent pas à cheval par les rues et les places, ils travaillent à l'intérieur de chacun de nous et font du dégât. » Les Saturnes, c'est la vie, c'est la vieillesse qui vient sans qu'on s'en aperçoive. Saturne n'est il pas le dieu du temps, le Chronos des Grecs ? Les Saturnes, c'est le temps qui passe, l'irrésistible et éternelle invasion contre laquelle on ne peut rien.
     Bien sûr, ce n'est pas moi qui ai inventé cette histoire : c'est Dino Buzzati. Elle se trouve dans le recueil intitulé Les nuits difficiles, et son titre est La tour. Mais je ne voudrais pas écrire qu'il s'agit d'une nouvelle, et que vous en trouverez vingt-cinq autres, semblables et différentes, aussi simples et aussi surprenantes, dans le livre dont il est question ici. Buzzati n'écrit pas des nouvelles : il raconte des histoires, pour soi tout seul, c'est-à-dire pour chacun de ses lecteurs-auditeurs-confidents. J'imagine volontiers Buzzati comme un vieil oncle malicieux plié en vrac dans un grand fauteuil, ce fauteuil dans une grande pièce pleine de pénombre, et prenant son temps pour mâcher ses mots à mi-voix, entre deux bouffées de pipe.
     J'invente, naturellement. Je rêve. Buzzati ne nous racontera plus jamais rien. Il est mort ; vous ne le saviez pas ? Il est vrai que cette disparition a fait bien peu de bruit dans le — comme on dit — « monde des lettres ». En France, Buzzati était « apprécié » par une poignée d'intellectuels, et mis à part Le désert des Tartares, je suis bien sûr que le tirage de ses livres ne doit pas dépasser de beaucoup celui d'un ouvrage moyen de science-fiction. En Italie, c'est pareil, c'est-à-dire que c'est pire puisque là, pourtant, il était chez lui. Il est mort au printemps dernier, je crois. Je n'en suis même plus sûr. Il avait sans doute dans les soixante-cinq ans, mais je n'en suis pas certain non plus. Je ne collectionne pas les articles nécrologiques de mes morts préférés, c'est une manière au moins de les garder vivants, de faire semblant. Et dans la présentation du recueil au dos du volume Laffont, ni la date de sa mort ni son âge ne sont indiqués. Tant mieux, tant mieux. Il ne cessera pas d'être encore debout, plus grand mort que vivant, et puis un deuxième recueil « posthume » est paraît-il attendu. Comme Boris Vian, il semble que ce cadavre soit intarissable. Tant mieux, tant mieux.
     J'ai l'air de plaisanter ? En confidence, la mort de mes grands hommes personnels (la galerie qui se dépeuple, les bustes qu'on recouvre de crêpe) ne m'a jamais touché outre mesure. On peut toujours revoir films et tableaux, relire les livres ; et à peine est-on conscient que, désormais, « il » n'en fera plus d'autres...
     Pourtant Buzzati... Je l'ai encore là, le choc. Le même qu'en 66, pour Buster Keaton (Boris Vian, j'étais trop jeune, je ne connaissais pas). Vous trouvez que je m'égare ? Non, pourtant : le cœur a ses raisons que la raison débusque et estampille. Buzzati et Keaton, la parenté est certaine : c'est la même manière équilibriste de raconter des histoires tragiques, avec une gueule d'enterrement et la sûreté du rire, ou de raconter de drôles d'histoires avec une mine ahurie et l'assurance de faire pleurer. C'est selon. Ça ne s'explique pas, ça se définit mal. (Bien sûr, à l'Université...)
     On pourrait dire que Buzzati est dans la lignée de Kafka. Mais un Kafka décanté de tout un lourd poids de signifié, un Kafka qui, sous son masque blême, laisserait fuser de temps en temps un petit ricanement goguenard. Dans sa préface à son admirable dernier recueil Casterman (Territoires de l'inquiétude), Alain Dorémieux écrit une ligne féroce sur les épigones de Kafka. J'espère qu'il ne visait pas Buzzati. Il n'est l'épigone de personne, il est lui-même, avec son sourire en coin, ses yeux pétillants de malice triste. Son sérieux, c'est de ne pas se prendre au sérieux ; son originalité, c'est de nous susurrer des paraboles si naïves (ou si mystérieuses — La tour étant une exception) qu'elles ne sont plus reconnaissables comme telles, qu'elles sont simplement, et j'y reviens, des histoires...
     Ce Croque-mitaine « dont la silhouette avait quelque chose de l'hippopotame et du tapir », que les gens sérieux veulent éliminer parce qu'il appartient au temps des « superstitions imbéciles », qui est poursuivi par la police, abattu à coups de mitraillette, et se dissout sans laisser de trace, « seulement la flaque de sang qu'avant l'aube les lances d'arrosage des éboueurs effacèrent », qu'est-ce qu'il peut bien représenter ? Les valeurs passées ? La pureté originelle ? Un défunt humanisme ? L'ancienne douceur de vivre ?... Qu'importe ! L'histoire est jolie, simple, un peu humide (de cette humidité de pluie passagère et de larmes d'enfant), un peu ventée (du vent soufflant dans les corridors des grandes villes), et cela nous suffit. (Le Croque-mitaine)
     Et cet ermite, tenté par un démon qui a pris l'apparence d'un « frère fort savant et grand confesseur » lequel, lui apprenant que les pires tourments sont liés à la pensée et non à la matière, le convainc de se plonger dans un bain de péché qui devra l'envoyer en enfer mais, tant est grande la miséricorde divine, le convoie en paradis... Que représente-t-il au juste, lui et son tortueux itinéraire ? (L'ermite)
     Et cette assemblée de vieillards qui, décidant subitement de bouder la tombe, forment aux abords d'un hôpital une manifestation contre la mort (« Occupation des hôpitaux ! Occupation des cimetières ! ») laquelle se heurte bientôt, sous l'œil ravi de la Camarde, à une manifestation de jeunes étudiants qui se fâchent que les croulants leur volent le monopole de la contestation... De quelle idéologie se réclame-t-elle ? (Contestation globale)
     Il n'est pas facile de répondre. D'ailleurs Buzzati nous pose-t-il des questions ? Non : il nous détaille ses rêves, ses cauchemars, parfois servis de la manière la plus brute, la moins élaborée qui soit (comme dans Personne ne croira, où la vision finale d'un futur inquiétant a l'illogisme de l'onirisme, ou dans Solitudes, qui sonne comme une suite de tableautins puisés au plus creux des songes). Les songes sont rarement réductibles à une explication claire et limpide, et le recueil ne s'appelle-t-il pas Les nuits difficiles ? C'est un aveu. Buzzati a plusieurs fois déclaré que ses contes étaient souvent issus très directement de ses rêves. Je voudrais m'attarder sur cette image : celle d'un vieil homme malade, qui sait qu'il va mourir (Buzzati était atteint d'un cancer) et qui ne cesse de rêver, au long de nuits difficiles coupées de réveils moites dont il profite pour jeter sur le papier la substance de ses songes. Oui, je le vois bien ainsi, surveillant narquoisement dans son corps l'envahissement de la bête aux féroces mandibules, chien de garde de Chronos, et ne cessant pas d'écrire, jusqu'à la fin.
     Cela expliquerait la présence tenace et tatillonne — mais en même temps familière — de la mort, qui rôde dans tous les contes et souvent en est le sujet même : comme dans Equivalence, où une femme pousse les mêmes lamentations lorsque le médecin lui apprend que son mari est condamné dans les trois mois, dans l'année, dans les trois ans, les vingt ans, les cinquante ; comme dans L'honneur du nom, où un homme bien portant, parce qu'il a été déclaré perdu par une sommité médicale dont la réputation ne souffre aucune tache, est poussé à disparaître dans les délais prévus ; comme dans La croquette, qui clôt le recueil, et où le récitant, vieux et fatigué, accepte sereinement de boire la coupe de cyanure qu'on lui a préparée sous la forme d'une friandise...
     Et dans ce jeu auquel se livre Buzzati avec la mort et — on ne me l'enlèvera pas de l'esprit — avec la sienne propre, perce toujours un sourire qui est celui de la dérision, mais une dérision acceptée, accueillie sans haine ni désespoir. La vie n'est qu'apparence, Puisque sa finalité en est la mort. Alors autant jouer avec cette apparence dérisoire, qu'elle se nomme respectabilité (L'honneur du nom, Alias rue Sésostris — où tous les locataires d'un honorable immeuble bourgeois se révèlent être les pires canailles), pouvoir (La tour, Délicatesse, Boomerang), destin (Les scribes, L'ermite, Cendrillon).
     Mais encore une fois j'insiste, mieux vaut écouter Buzzati qu'Andrevon. Pour que vous puissiez rester sur lui en queue de ce « compte rendu », le vais retranscrire ici, intégralement, la plus significative de ses histoires. Sa brièveté me le permet. Son titre : Le chef.
     « Il est directeur d'une grande industrie, il a passé la soixantaine, tous les matins il se lève à six heures, été comme hiver, à sept heures il est déjà à l'usine où il reste jusqu'à huit heures du soir et au-delà. Même le dimanche il va travailler, même si les ateliers et les bureaux sont déserts ; mais une heure plus tard, ce qu'il considère comme un vice. Il est l'homme sérieux par excellence, il rit rarement, il ne rit jamais. L'été il se permet, mais pas toujours, une semaine de vacances dans sa villa sur le lac. Il n'a aucune faiblesse, il ne fume pas, ne boit ni café ni alcool, il ne lit pas de romans. Il ne tolère aucune faiblesse chez les autres. Il se croit important. Il est important. Il est très important. il dit des choses importantes. Il a des amis importants. Il ne donne que des coups de téléphone importants. Même ses blagues en famille sont très importantes. Il se croit indispensable. Il est indispensable. Les obsèques auront lieu demain à 14 h 30, le cortège se réunira au domicile du défunt. »
     P.S. Je m'abstiens en général de parler traduction, mon sens du français étant sans doute plus élastique que celui de mes camarades Bertrand et Barlow. Il me semble pourtant bien que celle de Michel Sager pour Les nuits difficiles souffre de trop de lourdeurs de style, quand ce n'est pas de l'usage d'italianismes pour le moins curieux par exemple « passatiste » au lieu de passéiste (p. 228). Buzzati méritait mieux !

Jean-Pierre ANDREVON (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/2/1973
Fiction 230
Mise en ligne le : 5/4/2018

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