Depuis vingt ans, le Marcom, issu du Marché Commun, s'est replié sur lui-même et entouré d'une infranchissable barrière de défense. Le reste du monde s'interroge quand parvient à l'extérieur un message, un appel au secours de Léo Deryme, le montreur de rêves.
Attia Belgacen a reçu pour mission de franchir le rideau électronique.
S'il y parvient, sera-t-il reçu en espion ou en sauveur ?
Et qui l'emportera, des rêveurs ou des accumulateurs insensés de biens de toute nature ?
Pour ce roman qui trouve toute son actualité à la veille de la constitution de la Communauté Européenne, Philippe Curval a obtenu le Prix Apollo, décerné pour la première fois à un auteur français.
Après son « Utopie 75 », Curval nous donne son « anti-utopie 76 » : un marché commun devenu « Marcom », qui s'est retranché du reste du monde, et figé dans le refus du risque et le culte du confort matériel. Le livre pourrait aussi s'appeler — à la John Le Carré — « l'Espion qui venait des Payvoides » (pays en voie de développement) ; ou — à la Frank Herbert — « l'Homme fait d'insectes » ; ou — à la Jeury — « les Montreurs de rêves » ou « le Temps ralenti » (tels sont les deux correctifs, le mystique et le technique apportés à l'isolement dans le temps et l'espace caractéristiques de toute utopie) ; et on pourrait trouver aussi du Ballard dans la « recherche du signe suprême dissimulé dans les méandres de l'acte créatif » (l'urbanisme comme dévoilement, p. 142), ainsi que dans les débordements d'une sexualité raffinée et cruelle. Mais ces rencontres — inévitables dans une littérature fortement collective comme la SF — ne diminuent nullement la valeur de l'œuvre, à la fois la plus riche et la plus claire de Curval à mon sens ; tous ces éléments sont fructueusement fondus ensemble : ainsi, l'interférence des sur-rêves des initiés et de la technologie de dilatation spatiotemporelle inflige enfin au Marcom voleur de temps et d'espace la sanction appropriée, en le réduisant, caricaturalement mais aussi symboliquement, à un immeuble (immobilité) voire un appartement (à part). Et, avec des personnages aussi divers que vivants, et des regards nouveaux sur les mythes anciens (l'androgyne, le double) et les problèmes éternels (le père-nature et le père-dieu), c'est bien, tout compte fait, de « cette chère humanité » que nous parle Curval, avec un sourire mi-indulgent mi-amer dans sa barbe mi-patriarcale mi-contestataire.