La nanotechnologie a bouleversé la société du XXIe siècle et des machines microscopiques capables de remodeler les molécules permettent désormais aux hommes de réaliser leurs rêves les plus fous... dont la résurrection de la chair !
Aujourd'hui, en 2063, les ressuscités représentent déjà près d'un tiers de la population mondiale et vivent dans les nécrovilles, des ghettos ceints de barbelés, de policiers et de robots.
Ce soir du 2 novembre, alors que les défunts s'apprêtent à célébrer le carnaval de la Nuit des Morts, cinq jeunes gens vont se mêler à eux. Mais que cherchent-ils exactement ? Quête d'absolu — consciente ou inconsciente ? Savent-ils qu'ils jouent avec le feu ?
Peut-on impunément côtoyer ceux qui ont cessé de vivre ? Eternelle question...
Ian McDonald
Il est né en 1960 et vit à Belfast. Son premier roman Desolation Road, a d'emblée conquis un vaste public. Il a ensuite obtenu le Philip K. Dick Award pour son troisième roman. Auteur d'une demi-douzaine de romans, de nouvelles, de scénarios de BD... un homme à suivre de très près !
Critiques
En découvrant le moyen de ressusciter les morts, Adam Tesler a offert à l'humanité une immortalité assortie de conditions drastiques : à moins d'avoir eu, vivant, les moyens de s'offrir sa résurrection, chaque mort doit à la communauté des vivants autant d'années de travail que nécessaire pour rembourser son « traitement »... De fait, la Tesler-Thanos corporada règne sur les vivants comme sur les morts. Ces derniers, dénués de droits, parqués chaque nuit dans des nécrovilles forcément surpeuplées, ont inventé une société nouvelle, décomplexée et exubérante, à la mesure de leurs corps artificiels aux capacités étonnantes.
Ce premier novembre 2063, alors que les vaisseaux des Morts-Libres, qui dans les profondeurs de l'espace ont su se libérer de l'assujettissement imposé par la Tesler-Thanos, entament ce qui pourrait bien être l'offensive décisive contre les forces terrestres, cinq amis doivent se retrouver au Terminal Café de Saint-Jean, la plus grande des nécrovilles, pour célébrer le carnaval de la Nuit des Morts. Mais au cours de cette nuit où tout pourrait bien basculer pour l'ensemble de l'humanité, chacun trouvera au contact des morts bien plus que la fête exotique escomptée. Car dans le monde de Nécroville, la peur de la mort n'a pas disparu, elle a juste changé de nature. Dans cette société où les morts poussent jusqu'à l'absurde les comportements de l'occident contemporain, chaque récit, par son style et son thème, dépeint une conception différente de la vie et du rapport à la mort, dans un cadre où la technologie a rendu ces notions au mieux confuses...
Santiago, neurochimiste ayant élevé la création de drogues nouvelles au rang d'art, désormais insensible à ses propres substances, cherche un dérivatif à ce handicap en côtoyant la mort. Trinidad, terrorisée à l'idée de rencontrer dans la nécroville son ancien amour, surmonte peurs et souvenirs et découvre ce qu'il est advenu des vieilles religions — comme toujours chez Ian McDonald, les mutations sociales s'accompagnent de mutations radicales de la spiritualité. Camaguey, condamné à très court terme et responsable de la Grande Mort — définitive — de son amante, cherche à admettre sa propre mort annoncée. Toussaint, le fils d'Adam Tesler, refuse son héritage et tourne lui aussi autour de sa mort en remodelant sa chair ; pris en otage, il va mener des terroristes au cœur de la corporada, révélant ainsi les enjeux dystopiques de cet avenir nanotechnologique. Yo-Yo, enfin, cyber-avocate déchue du barreau, accepte d'enquêter pour le compte d'une morte sur son assassinat ; ses démêlés avec des puissances qui la dépassent offrent à l'auteur l'occasion d'un polar dans la grande tradition cyberpunk, et jettent une lumière crue sur la réalité sociale d'un système poussé au bord de la rupture.
Malheureusement, si l'auteur développe brillamment les réflexions autour de la mort qui sous-tendent l'essentiel des fils narratifs, il ne parvient jamais vraiment à mener de front ces cinq récits. Les relations entre ces personnages pourtant fouillés et crédibles ne sont jamais clairement établies, et à trop vouloir brouiller les pistes pour rendre compte de la complexité du monde des nécrovilles, McDonald perd souvent son lecteur entre les péripéties des destins de héros auxquels il est bien difficile de s'attacher malgré leur profonde humanité.
Trop touffu et exubérant sous un humour omniprésent, souffrant d'une structure mal maîtrisée, Nécroville recèle cependant suffisamment de lucidité, de trouvailles savoureuses, d'images ou d'idées fortes pour permettre à ce monde fascinant d'échapper à l'oubli. Mais il rend toutefois mieux compte du potentiel de Ian McDonald que de son extraordinaire talent.
« Je crois en l'inviolabilité des mathématiques pures, appliquées et statistiques, créatrices et nourricières de toutes les connaissances. (...) Je crois en la physique, la chimie, la biologie, la théorie quantique et la relativité générale, l'informatique et le chaos.(...) Je crois au Saint-Esprit de l'Information, aux journaux télévisés, à mes relevés de compte bancaire, à la musique de ma chaîne hi-fi, aux amis qui apparaissent sur l'écran digital de mon Idcom. Je crois en la résurrection nanotechnologique des corps et en la vie éternelle. Amen. »
Avant, la SF ne jurait que par la relativité d'Einstein. Aujourd'hui, la panacée s'appelle la nanotechnologie. Chez McDonald, elle provoque la résurrection des morts ! Sciences et techniques font plus que jamais office de religion. Les réseaux virtuels et les drogues sont autant de réalités supplémentaires, bien que l'auteur estime qu'il n'était pas nécessaire de chercher bien loin des univers parallèles : chaque race, chaque individu est un monde en soi.
Celui des morts est bien particulier et s'assimile à un nouvel esclavage : privés de leurs droits, serviteurs le jour, ils sont parqués la nuit dans des nécrovilles sévèrement gardées où viennent parfois se perdre les vivants en quête de sensations fortes, à l'occasion du carnaval de la Nuit des Morts. Le récit, étalé sur vingt-quatre heures, suit les trajectoires complexes de cinq amis au rendez-vous anniversaire de Nécroville, dont Yo-Yo, avocate malchanceuse fuyant ses modestes origines.
Tourmentée par un serafino, un esprit hantant le réseau, elle accepte le dossier d'une Morte amnésique qui pense qu'on l'a tuée. L'intrigue débutant comme un polar classique évolue vite, sur fond d'espionnage et de guerre spatiale extraterrestre, vers une révolte des morts conduisant à une transformation radicale de la société.
La complexité, la polyphonie de ce roman touffu et foisonnant n'en font pas une lecture des plus aisées. La peinture minutieuse d'un monde protéiforme entrecoupée de réflexions sur le sens profond de la mort comme sur les multiples aspects de cette société rendent pourtant ce livre fort et riche. On n'oublie pas la touchante mort de Camaguey, la révélation de Santiago en proie à la terreur, les monstres préhistoriques nanotechnologiques de la Walt Disney Corporada et bien d'autres images encore. Une saveur âpre du futur.