Une mission Apollo ramène sur Terre d'étranges roches lunaires, qui, une fois en contact avec l'atmosphère terrestre, se développent jusqu'à devenir des humanoïdes pensants, les Omatiens, antiques habitants de notre satellite qui ont passé des millions d'années desséchés et cristallisés, après qu'une guerre nucléaire totale a détruit leur monde. Les Omatiens, qui possèdent des connaissances techniques en avance de plusieurs centaines d'années sur les nôtres, prennent une place de plus en plus prépondérante sur notre planète ; ils guérissent certes le cancer et fertilisent les sols déshérités, mais font venir de la Lune force contingents de leurs semblables. Lorsque le livre se termine, et malgré quelques protestations de minorités éclairées, les Omatiens sont les maîtres de la planète.
Ce court résumé rend bien compte de la fabuleuse stupidité de ce roman, dû à un auteur tout à fait inconnu, qu'il ne faudrait pas confondre avec
Wilson Tucker. Il paraît bien sûr totalement invraisemblable (tout au moins dans le cas d'un livre qui se veut très rationaliste et scientifique) que des roches se transforment en petits hommes verts en l'espace de quelques jours, au seul effet du contact avec notre atmosphère. Il paraît plus invraisemblable encore que ces créatures naissent (ou renaissent) avec un langage propre : le bagage génétique peut transmettre une prédisposition à l'usage d'un langage articulé, mais certainement pas la « mémoire » d'un langage déjà formé. Au mieux, les petits hommes verts auraient dû acquérir à leur réveil l'usage de l'anglais...
En fait, ce roman présente dans son texte une distorsion fabuleuse : la Lune anciennement habitée par des humanoïdes verts qui ne se réveillent, après avoir été minéralisés pendant des millions d'années, que pour venir conquérir la Terre avec les rayons laser qu'ils y fabriquent aussitôt, c'est là un schéma qu'on peut à la rigueur trouver dans la SF des pulp magazines des années 20. Comment comprendre qu'un auteur ait pu ressusciter ce schéma idiot en 1970 ? Sans doute James B. Tucker a-t-il cru pouvoir refaire le coup (et le succès) de
La variété Andromède, car son roman se déroule en grande partie dans des laboratoires et est fortement saupoudré d'un vernis technologique qui ne peut faire illusion plaqué sur un tel sujet...
Mais là où Michael Crichton réussissait superbement, Tucker se noie dans le ridicule et, plus grave encore, dans l'odieux : car, il ne faudrait pas se le cacher, son ouvrage exhale un fâcheux parfum de xénophobie (ce qui nous renvoie une nouvelle fois aux années 20 ou 30). Certes, il n'est pas interdit de présenter des extraterrestres méchants, mais on peut sourciller lorsque le héros principal (savant qui, seul, a compris dès le début que les Omatiens étaient des vilains et qui se met à jouer contre eux du revolver) ne cesse de les traiter de « salopards », ce qui renvoie à d'autres salopards plus historiquement datés. De plus, l'auteur insiste à plusieurs reprises sur le fait que les Omatiens ont un faciès « asiatique ». Pas la peine de creuser davantage, on a compris...
Je l'avoue, cette courte critique est déjà bien longue pour un aussi vilain roman. Mais elle me permettra au moins de poser une question : pourquoi les Editions Denoël ont-elles entrepris la traduction de cette chose au sein d'une collection qui était très bien répartie depuis quelques dizaines de numéros ? C'est là un demi-mystère qui peut sans doute s'expliquer par une négligence générale. Déjà la traduction du titre, qui est un contresens, vous mettrait la puce à l'oreille : Not an earthly chance rendrait un son plus juste en Pas une chance pour la Terre, et le « dos » du livre se demande ingénument d'où viennent les « Omatons », ce qu'on sait dès les premières lignes — et puis ce sont des Omatons ou des Omatiens ?... En somme, ces menus indices prouveraient que la direction de la collection « Présence du Futur » s'est désintéressée de ce petit bâtard, qu'elle aurait mieux fait de laisser où il était.
Je signale enfin que ce même sujet a été traité il y a près de vingt ans par Jean-Gaston Vandel dans un de ses meilleurs livres, qui fut d'ailleurs son dernier :
Le troisième bocal. Vandel, grâce à son talent, réussissait à faire passer ce que le postulat avait et a toujours d'absurde. Aussi recommanderai-je à nos lecteurs qui sont au minimum trentenaires de relire cette antiquité, plutôt que le roman de James B. Tucker.
Denis PHILIPPE
Première parution : 1/6/1973 dans Fiction 234
Mise en ligne le : 21/11/2017