DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 249 Dépôt légal : 1er trimestre 1978, Achevé d'imprimer : 22 décembre 1977 Première édition Roman, 288 pages, catégorie / prix : 2 ISBN : néant Format : 11,0 x 18,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
En ce second millénaire finissant, les hommes ont peur.
Peur de leur monde devenu incompréhensible, invivable.
Peur des lumpens qui rôdent à la lisière des villes.
Alors ils se réfugient dans la folie.
Rémi, technocrate raté et fier de l'être, sent venir la maladie. Elle a pour nom temperdu.
Son esprit va régresser, régresser, jusqu'à faire de lui une sorte de foetus adulte.
Et voici qu'on l'expédie réellement dans son passé.
Un passé étrange où se mêlent souvenirs vrais et personnages de fantaisie.
Mais qui l'y a expédié ?
Peut-être les transnats.
Pourquoi ?
Peut-être pour les aider à établir leur toute-puissance.
Il ne sait rien, et pourtant il doit agir.
Car les strates du temps se referment, inexorablement...
L'auteur.
Né en 1944, Dominique Douay, vit actuellement dans la région Rhône-Alpes où il sévitau service d'un important ministère.
Venu relativement tard à l'écriture (sa première nouvelle a été publié dans Fictionen 1973),
Il a, en 1975, remporté le Premier Prix de la science-fiction française pour sa nouvelle Thomas,
et ses deux romans précédents, Éclipse (aux éditions Opta),
et l'Échiquier de la création (aux éditions J'ai Lu), ont été salués favorablement par la critique.
Critiques
AUTANT EN EMPORTE LE TEMPS
Beau temps pour la SF française : après Taromance et l'anthologie de D. Guiot Pardonnez-nous nos enfances, où Douay signe une extraordinaire nouvelle, voici Strates,un roman de qualité. Malgré le titre qui renvoie aux couches de temps constituant une mémoire et qui, ici, se déstabilisent, propulsant le moi dans des univers du passé personnel, ou dans des mondes parallèles, ce n'est pas un roman de l'errance mais de la quête. Ici, un clin d'œil à van Vogt : la mission imposée au héros par le Professeur (trouver le/les coupables de manipulations) aboutit àceci : le coupable est (peut-être aussi) le Professeur. Mais l'essentiel n'est pas là (c'est d'ailleurs une fausse piste...) : en fait il s'agit pour chacun de se retrouver : sans être obligé, comme Rémi, d'avoir chaque matin recours à la bande qui lui rappelle son nom, son âge, l'époque où il vit, la date. Et d'abord, à quoi est due cette dérive ? Est-ce un syndrome de fuite ? Une solution individuelle et narcissique aux problèmes réels ? Les psy tentent toute la nuit de raccrocher au monde normal, réel, les êtres en proie aux cauchemars de la dérive. Mais le monde diurne est-il vraiment plus rassurant ? Pas à la TriV, où l'on tue/torture en direct et en gros plan, dès le réveil. Pour impressionner les majorités silencieuses, les amener à intérioriser l'ordre régnant comme norme à défendre ? Mais qui manipule le visible de la TriV ? Est-ce les mêmes qui manipulent le temps, qui envoient les autres se perdre dans le « temperdu » (on a failli y retrouver Proust, à la recherche d'une Madeleine perdue) : Est-ce les groupes transnat ou Dallant, le « savant fou » qu'on avait oublié ? Y a-t-il un lien entre ces « temperdus » individuels et l'instauration d'un régime néoféodal qui colonise l'espace marchand ? Comment savoir, en ce monde de lumpens et de technocrates vendus, sorte de clergé radoteur, qui n'a peut-être qu'un rôle d'écran pour les vrais responsables ? L'enquête est souvent interrompue par les manipulations temporelles auxquelles sont soumis les héros (c'est un clin d'œil à Dick !) Elle permet quand même de trouver, avant de débusquer le coupable, un certain nombre d'alliés, à la fois dans la mémoire et dans un réel autre, comme Bix le dromadaire/amibe amateur de Dixieland. Parallèlement à ces 21 chapitres qui constituent la quête de Rémi (et qui ont de 28 à 2 pages, rythmant les accélérations), en s'imbriquant il y a les 9 séquences de l'histoire en apparence extérieure de l'oiseau et de l'Urbs, séquences démentes, recommencées, comme un refrain au cœur du récit. Roman composite, où se mêlent des discours de deux ordres : politique, d'abord, avec en point de mire : l'avenir proche tel qu'on l'imagine d'après les économistes de l'Inflation créatrice ou du dernier Attali sur l'Economie de la France. De ce point de vue, une prospective vraisemblable, un futur possible et — hélas — probable. Mais rien de lourd, d'indigeste : de simples aperçus, vivants, imagés, rien d'un pensum, rien d'un cours, rien de dogmatique ; tout cela est fort bien intégré au récit, forme une toile de fond solide. Cette solidité permet à un autre discours de prendre son essor, la création fantaisiste, jeu sur des formes, des êtres, des mots. S'appuyant sur les deux domaines, la quête de Rémi, dans les méandres du « temperdu » qui, peu à peu, se stabilise. Roman riche, où l'auteur joue dans le cadre des nouveaux univers qui découlent de Dick. Ce n'est pas un monde neuf et rugueux, tragique comme chez l'auteur américain, c'est une sorte de jeu au second degré sur ces matériaux fournis. Aussi ne retombons-nous pas, à la fin ni dans un monde purgé et remis à neuf (comme chez van Vogt) ni même dans le quotidien du cauchemar (Dick), nous retrouvons une sorte de niche exemplaire née dans un repli temporel, où le bonheur est possible, puisqu'il s'agit d'une utopie, malgré l'ironique remarque sur la forêt de plastique. On peut s'interroger sur cette fin ouverte, l'absence de retour au monde « réel » signifie-t-il que celui-ci n'existe pas ? Que toute solution est individuelle ? Que le lien enfin trouvé est tel que l'exploration-jouissance en est infinie. Un roman riche, foisonnant, important.