DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 473 Dépôt légal : juin 1988 Première édition 256 pages, catégorie / prix : 7 ISBN : 2-207-30473-6 Format : 11,0 x 18,0 cm Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
D.A.R.K., c'est l'ombre de la guerre noire comme l'hiver, comme la peur, la misère, les nuits sans lendemain et les machines à tuer. Comment survivre sous la pluie de missiles et de bombes lâchées d'on ne sait où ? Partir à la recherche des responsables ou au moins d'un ennemi ? Prendre le pouvoir pour relever le défi ? Se vouer à sa foi pour ne pas perdre l'esprit ? Errer dans la brumes de l'oubli ? Quatre trajectoires aléatoires et violentes qui s'entrecroisent en une tapisserie où se lisent les retombées de telle ou telle guerre absurde dont les médias nous livrent le feuilleton.
Critiques
Jean-Marc Ligny n'est plus à proprement parler un débutant. Auteur de cinq romans avant ceux-ci, allant du texte éclaté (Temps Blancs) à la Speculative (Furia !), de la Fantasy (Succubes) au Fantastique moderne (Yurlunggur), on est désormais en droit d'attendre de sa part des ouvrages originaux et achevés, comme pour tout auteur sachant écrire, maître de sa plume. Et Dieu sait s'il la maîtrise, le bougre ! Capable du meilleur... mais aussi du pire... Et cette fois, avec ces deux romans publiés simultanément chez Denoël et au Fleuve Noir (le second ayant été écrit en collaboration avec Dominique Goult), il fait un pas en arrière en ce qui concerne sa trajectoire par rapport au champ de la modernité et déçoit quelque peu. En effet, délaissant provisoirement la veine novatrice qui nous avait fait l'aimer (et lui avait même valu un passage à Apostrophes), pleine de fureur et de fièvre bouillonnante, ainsi qu'une thématique intéressante chère à la SF moderne (la réalité), il se contente de nous livrer, pour D.A.R.K. du moins, Kriegspiel n'étant en fait qu'un Fleuve ordinaire, une bien classique histoire postcataclysmique ; bien ficelée il est vrai, nerveuse et se laissant lire d'une traite, mais sans originalité. On y retrouve tous les ingrédients habituels, une Terre détruite, des survivants (ou plutôt des descendants de survivants), des mutants, des bons et des méchants, une lutte pour le pouvoir... Cela suffit-il pour pouvoir passer en Présence du Futur, la collection actuellement la plus exigeante et publiant, après Alain Dorémieux, Dominique Douay et Daniel Walther, des auteurs de l'importance de Serge Brussolo, Jacques Barbéri, Emmanuel Jouanne, Jean-Pierre Hubert, Francis Berthelot ? Evidemment, non. Et pourtant on ne peut pas dire qu'il s'agit-là d'un mauvais roman, on sent bien la patte de Ligny qui ne s'y renie pas. Alors ? Alors, je pense tout simplement, s'il m'est permis de déborder du cadre étroit de D.A.R.K., que celui-ci pose en le mettant en évidence le malaise habitant depuis quelques années la Science-Fiction française : autrement dit une raréfaction dangereuse des supports et des collections, les plus populaires seulement réussissant à surnager, amenant les auteurs à se remettre en question et à se rapprocher d'un certain classicisme demandé ou suggéré par les éditeurs et les directeurs de collection. Bref, une situation identique à celle que connurent les auteurs américains et qui n'a guère évoluée... n'en déplaise aux plus malins d'entre eux, qui se présentent aujourd'hui sous l'appellation commerciale et donc commode de Cyberpunks...
Mon intention n'est évidemment pas de cracher dans la soupe ou encore de critiquer les auteurs publiant au Fleuve (peut-être demain chez Patrick Siry, nous le saurons bientôt), mais de constater un état de fait que personne ou presque songerait à mettre en doute. C'est ainsi !
D.A.R.K. reste évidemment, comme dit plus haut, un roman lisible, qui plaira sans doute à certains, c'est sur, mais je conseillerais à ceux qui ne connaîtraient pas encore Jean-Marc Ligny de faire au préalable la connaissance de ses deux précédents, publiés dans la môme collection : Furia ! et surtout Yurlunggur, qui demeure le texte le plus attachant de son auteur.
Des micro-entités villageoises survivent vaille que vaille dans ce qui a été une campagne fertile, et les villes irradiées ne sont plus que des ruines livrées à des hordes de rats ainsi qu'à la populace composite des mutants, zombis, miséreux et drogués à la banzédrine... De prime abord, le dernier roman de Ligny ne serait qu'une variation de plus sur la thématique rebattue du monde post-apocalyptique, d'une terre réduite à la déglingue, à la débrouille et aux bas instincts de pillards profitant du malheur général, résurgences tribales s'arrogeant le pouvoir, investissant la place qu'a laissée vacante l'explosion sociétaire.
Tableau connu, à quelques réserves près. Dont celle-ci, essentielle : le désastre est en expansion. Venus on ne sait d'où, des bombardiers surgissent à l'improviste, exaspèrent la misère et font de chaque vivant un mort en sursis. Fulgurances, roquettes, missiles qui zèbrent le ciel bouché sont les motifs récurrents, et fascinants, d'une planète en guerre perpétuelle. Conflagration dont sont oubliés les protagonistes et les objectifs, où s'opère la suprême confusion entre fins et moyens. Et dans ce monde, quand même, des êtres pleutres ou mauvais qui lentement se transforment, travaillés du désir de remonter aux sources, pour débusquer les forces responsables du conflit. Si elles existent encore...
Avant les piètres héros de D.A.R.K., on aura compris que tout espoir est vain, que la guerre s'autogénère, qu'il s'agit d'un conflit homéostatique. Sujet prenant, sans être spécialement neuf. Pour se limiter à un exemple, Philip Dick soi-même avait, en 1952 déjà 1, et sur un mode moins ténébreux, exploité l'idée de la maintenance automatique d'un arsenal guerrier. Mais là n'est pas l'intérêt essentiel, ni l'enjeu littéraire.
Ce qui retient dans D.A.R.K., c'est l'effet de réalité insufflé à cet univers paroxystique. Multiplication de chapitres brefs. Parcelles d'action, de vies entrecroisées par lesquelles rendre palpables, tout à la fois, la vastitude du conflit et la diversité des intérêts individuels. Il y a tout un art de ce qu'on pourrait appeler le tressage narratif, dans lequel Jean-Marc Ligny est passé maître. Ainsi se dessinent en parallèle, puis se rejoignent les destins d'une galerie de victimes illusionnées par un semblant de pouvoir : Gaïa, que la maladie nommée radiante voue à une mort proche et qui se réfugie dans sa dévotion au Père Fantôme, dieu spectral dont elle est la sainte ; Hard, un pillard dont le coeur recèle quelques bons sentiments qui lui vaudront de mourir ; Paul, qui veut remonter le cours du temps pour annuler un cauchemar intime. Et l'Aut, l'enfant autiste dont la croissance s'est arrêtée à l'aube du cataclysme. Ce sont là quelques figures qui surnagent, avant que ne les engloutissent le désordre intégral, la violence dont des machines et des robots, avec une méticulosité sereine, gèrent la permanence.
Notes :
1. Un récit intitulé Le Canon (The Gun), dans le recueil Le Crâne (Présence du Futur n° 428).