[Critiques des livres suivants :
- L'inhumaine Création du prefesseur Lynk de Robert Georges-Méra, Ed de la Corne d'or - Epouvante n° 1
- Les bagnards du ciel de Robert Collard, Ed Métal serie 2000 n° 4
- Le microbe detective de Hal Clement, Hachette Rayon Fantastique n° 27]
Premier volume d’une nouvelle collection intitulée « Épouvante », L’inhumaine Création du professeur Lynk de Robert Georges-Méra (Ed. de la Corne d’or), est la nième variante du thème du surhomme. Mais l’auteur, qui a à son actif un nombre impressionnant de romans d’espionnage ou d’aventures d’une facture assez inégale et, depuis quelques mois, trois ou quatre « criminels psychologiques » tout à fait remarquables (chez le même éditeur), a surtout insisté sur le côté macabre, grand guignolesque de son sujet, plutôt que sur son aspect fantastique. L’« Inhumaine création » n’est autre chose qu’un être humain d’un an (baptisé Adam Newman !) mais ayant le développement physique d’un homme de vingt-cinq, car il a été soumis par le professeur Lynk à un régime alimentaire spécial, en l’espèce des glandes (humaines) encore vivantes. Adam est en outre doué d’une force peu commune (il peut soulever une voiture) ; mais c’est surtout son cerveau qui intéresse Lynk lequel espère en faire le plus grand génie de tous les temps. Malheureusement, Adam a ceci de commun avec une machine qu’il lui faut régulièrement du combustible, c’est-à-dire des sécrétions glandulaires, sinon il retombe à l’état (intellectuel) de nouveau-né vagissant. Or, comme on n’a pas toujours de cadavre frais d’homme bien portant sous la main… Cela nous vaut une fin très Frankenstein, où l’on voit le monstre semer la terreur dans la ville à la recherche de sa nourriture préférée, le corps thyroïdien. Viennent se greffer sur cela un homicide que, ignorant sa force, Adam commet accidentellement et l’idylle qu’il noue avec la fille de son créateur et qui se termine comme on se l’imagine. Dans l’ensemble donc, le roman, ainsi qu’on a pu le constater, se rattache à plusieurs genres. Il est d’une écriture fort correcte et intéressera certainement un nombreux public friand d’histoires de terreur. Mais il est un peu simpliste pour les amateurs de bonne A.S. ou ceux du fantastique d’un niveau élevé.
Tout comme le roman de Georges-Méra, celui de Robert Collard : Les bagnards du ciel (Série 2.000. – Ed. Métal) se rattache, lui aussi, à plusieurs genres. Et la « science-fiction » semble avoir surtout servi de prétexte à l’auteur pour écrire, en même temps qu’un ouvrage d’aventures extrêmement vivant, une satire de mœurs parfois assez cruelles. Gregorio Palacios, policier, en l’an de grâce 2041, a été envoyé par ses chefs dans la planète Io où l’on relègue les assassins depuis la suppression de la peine de mort. Comme il s’agit d’un monde interdit aux non-criminels, on ne sait trop ce qui s’y passe. Mais le chef de la Secrète n’a-t-il pas été averti que les convicts préparaient un retour sur Terre et la conquête du monde ? Se faisant passer pour un meurtrier crapuleux, Palacios s’embarque donc pour la lointaine Io, érigée en république. Il y trouvera un univers concentrationnaire assez proche de celui qu’ont connu certains pays, des mœurs rappelant celles du Far-West (et, parfois, celles des Romains, témoin cet admirable chapitre sur les jeux de cirque) et, enfin, une jeune fille qui… Mais nous ne vous en dirons pas plus long, car c’est aussi un roman de suspense, et nous ne voudrions pas vous priver de la ration d’angoisse à laquelle vous avez droit. Habilement bâti (coups de théâtre, nombreuses chutes), l’ouvrage ne prétend pas se hisser aux sommets de la super « science-fiction » genre Van Vogt, Brown ou Asimov, mais il est extrêmement sympathique sous bien des rapports, agréablement écrit, jamais ennuyeux. En outre, il ne manque ni d’imagination ni même (chose pas tellement fréquente en A.S.), d’une certaine profondeur humaine. Eh oui ! l’auteur dissèque par endroit la psychologie de ses personnages, et son ouvrage acquiert une densité accrue. En résumé, un livre que, personnellement, nous avons lu avec plaisir.
Le microbe détective (Needle) de Hal Clement (Rayon Fantastique-Hachette) est un « policier » d’A.S. assez curieux. Pour vous en donner tout de suite une idée, nous allons reproduire le début de la prière d’insérer :
« Dans un univers d’infiniment petits, un microbe a commis un crime et, pour échapper aux foudres de la justice, il se salive vers la terre. Un microbe détective se lance à la poursuite du criminel, mais comment le retrouver ? Les microbes ne peuvent pas vivre seuls sur la terre, ils doivent se glisser dans un corps humain pour y subsister comme des parasites. Parmi les jeunes garçons courant sur cette île du Pacifique, qui, sans le savoir, donne asile au microbe assassin… »
Il semblerait, à première vue, que nous ayons là un « science-fiction » pour adolescents. Pourtant nous sommes persuadé que bon nombre de grandes personnes le liront avec plaisir. Pourquoi ? demanderez-vous. Eh bien, parce que l’auteur a traité son sujet avec un sérieux et une conscience professionnelle tels que l’ouvrage n’est pas sans rappeler, très souvent, un roman comme Cyclone à la Jamaïque. On finit par s’attacher à l’alliance conclue entre le microbe détective et Bob, le J2 dans le corps duquel il s’est installé, et aux efforts combinés des deux pour démasquer le microbe criminel dont la simple présence dans un corps humain présente un grave danger non seulement pour ce dernier mais aussi pour ceux qui l’entourent. L’action est lente et méticuleuse, mais constamment intéressante. Pour notre part, nous avouons avoir pris grand plaisir à ce livre pour la jeunesse qui, au fond, n’en est pas tellement un, vu son côté scientifique qui dépasse nettement l’entendement de ceux à qui il semble s’adresser.
Igor B. MASLOWSKI
Première parution : 1/9/1954 dans Fiction 10
Mise en ligne le : 3/3/2025