Bruss ne nous avait plus donné depuis longtemps de roman de cette valeur. Sans doute a-t-il toujours publié des ouvrages honorables, mais, au souvenir de ces anciennes réussites, nous attendions mieux.
« Bihil » est un space-opera classique : un agent galactique, dans une région mal connue, entre en contact avec deux races humanoïdes ; les Rohrs, missionnaires du Grand Bienfaisant, et les Troims leurs adversaires. Intrigue bien menée, suspense bien ménagé. Mais surtout l'auteur insiste sur la complexité de cette organisation galactique, confrontée avec tant de problèmes, avec une telle marge d'inconnu et même d'inconnaissable à l'entour de son domaine, que les problèmes y demandent parfois des millénaires avant d'être perçus et abordés. Surtout, les personnages en présence sont des hommes ; leurs connaissances, leurs appareils, la télépathie elle-même, ont des limites, et ces limites gouvernent le développement des événements.
Enfin, et surtout, Bruss est de ces écrivains, trop rares, qui ont le sens de la durée. Trop souvent nous avons vu créer une flotte spatiale, submerger une galaxie entière, en l'espace de quelques mois. Ici les événements sont soumis au temps, aux limites des personnages, de leurs possibilités techniques. Et le suspense ne fait qu'y gagner. « Bihil » en devient presque une œuvre réaliste, ou passe le souffle cordial et fraternel des premiers Bruss, et qui montre qu'on peut écrire un bon roman, même avec de bons sentiments.
Les défauts restent ceux des autres ouvrages de l'auteur : un style gris, des descriptions un peu sèches, qui gâtent les meilleures pages par leur manque de couleur et de détails, comme la peinture de cette planète que les Troims ont enfermée dans une couche de matière transparente, figeant pour l'éternité les habitants dans leurs gestes quotidiens, peinture qui ne soutient pas la comparaison avec celle que brosse Arcadius dans « La Terre endormie ».
Jacques VAN HERP
Première parution : 1/11/1961 dans Fiction 96
Mise en ligne le : 21/1/2025