Michael G. CONEY Titre original : The Jaws That Bite, The Claws That Catch, 1975 Première parution : New York, USA : DAW Books, Mars 1975ISFDB Traduction de Jean-Pierre PUGI Illustration de Wojtek SIUDMAK
POCKET
(Paris, France), coll. Science-Fiction / Fantasy n° 5219 Dépôt légal : janvier 1986, Achevé d'imprimer : 24 janvier 1986 Réédition Roman, 256 pages, catégorie / prix : 3 ISBN : 2-266-01664-4 Format : 10,8 x 17,8 cm✅ Genre : Science-Fiction
Vous l'aimez, cette fille blonde. Vous aimez ses jolies mains fines qui jouent si bien de l'orchestrella. Vous êtes pris par cette musique. Mais le morceau s'achève. Vous levez les yeux et... ce n'est pas elle. Ses mains ont changé de corps. Alors tout bascule. Quelle est cette sorcière qui s'arroge des droits sur la chair des autres ? Quelle est cette loi qui permet aux condamnés de gager leur corps contre une remise de peine ? Quel est cet univers en folie où les poissons carnivores déchirent les hommes, où les agonisants sont remis à neuf grâce aux banques d'organes, où les seuls révoltés veulent seulement le pouvoir ? Cette fille, on lui a volé une partie de sa beauté, vous ne pourrez plus l'aimer, seulement avoir pitié d'elle. Vous commencez à comprendre les carnivores. Les crocs et les griffes. Les mâchoires qui mordent et les serres qui lacèrent.
Michaël Coney, né en 1932, est un écrivain anglais qui a résidé tour à tour aux États-Unis et au Canada. Depuis ses débuts en 1969, il s'est imposé par des qualités plutôt rares en S.F. : vocation pour le romanesque, art de camper les personnages, variété des registres, goût des mondes cohérents qui se répondent d'un roman à l'autre.
J'aime qu'un propos intéressant soit soutenu par une histoire bien racontée. Ce qui est précisément le cas de ce roman signé par un des meilleurs nouveaux écrivains américains de S.F. (ce n'est pas moi qui l'affirme, c'est Théodore Sturgeon, et je n'irai pas le contredire après ce que j'ai personnellement lu du susnommé Coney).
Il était une fois une société d'humains qui vivait sur Terre, dans une ère nouvelle succédant à un cataclysme géologique, et qui croyait avoir trouvé le bon moyen pour punir et faire payer ses déviants, criminels en tous genres — les faire payer dans leur corps et leur conscience. Ce moyen était le suivant : soit la prison, soit s'attacher en servage pour un temps de semi-liberté auprès d'un citoyen libre. Avec à la clé l'obligation de faire don à son maître de tout organe corporel dont la greffe serait nécessaire en cas de maladie ou d'accident. Il était une fois, dans cette société, un éleveur de slictes nommé Joe Sagar, citoyen libre et membre d'un club de vol sur planeurs étranges, une certaine Carioca, ex-vedette vieillissante et aigrie, un pénitencier bizarre, une banque d'organes douteuse, un trafic clandestin de pseudo-touristes, une faune aberrante d'animaux de compagnie trafiqués (des poissons adaptés à la vie terrestre). Il était une fois des Abolitionnistes de la nouvelle Loi Pénale.
C'était un univers de crocs et de griffes : un univers d'humains.
Joli tour de force de la part de l'auteur qui nous rend parfaitement crédible cet univers, à petites touches successives, par l'intermédiaire d'un personnage central narrateur surtout pas héroïque, individu moyen tel qu'il en existe des milliers, dans ce monde-là. Ni meilleur ni pire, amené à une certaine prise de conscience, comme d'autres avec lui. Ni meilleur ni pire. Fait de griffes et de crocs, lui aussi. Comme c'est le lot de tous, des plus arrogants aux plus doux. Comme nous le découvrons au fil des pages, englués dans un suspense qui ira crescendo jusqu'à l'explosion finale (avec un passage admirable consacré aux manipulations des média). Une explosion finale, comble de raffinement et d'horreur tranquille, qui se fera sur les gammes ordinaires de la vie courante, sans recourir à l'artifice du spectaculaire factice. A vous laisser pantois. Griffes et crocs douloureux.