DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 225 Dépôt légal : novembre 1999 Roman, 196 pages, catégorie / prix : 2 ISBN : 2-207-25032-6 Format : 11,0 x 18,0 cm Genre : Science-Fiction
Pierre Pelot est un des géants de la science-fiction française. Ses romans Transit, Le Sourire des crabes, La Guerre olympique et Délirium Circus sont considérés comme d'authentiques chefs-d'œuvre du genre.
Bienvenue ! Bienvenue, cher visiteur ! Dans « la ville » où les fœtus préfèrent mourir plutôt que de venir au monde, le Saint Office dirigeant s'occupe de vous, vous loge, vous nourrit ! Et quels logements ! 16 m2 pour un couple — le luxe. Et quelle nourriture ! Cadavres recyclés, pâtés d'insectes...
Bienvenue dans l'apocalypse en pente douce, le futur selon saint Pierre Pelot. Découvrez un monde où l'eau n'est polluée qu'à 70% et où la récompense du jeu le plus populaire est une pilule-suicide.
Critiques
« Un jour il était né. Bel et bien pris au piège. Sans le savoir. Un jour il était né et s’était bravement mis à mourir. »
L’incipit de Fœtus-Party annonce la couleur : noir. Le roman de Pierre Pelot apparaît comme un évangile dystopique. Une vision sombre de l’avenir dont on espère qu’elle ne s’avérera pas prophétie auto-réalisatrice…
Dans le futur, la ville étend ses limites à l’ensemble du monde. Les gens vivent désormais dans des appartements minuscules ou dans des bidonvilles poussés comme du chiendent. Dans la rue et sur les boulevards, la foule grouille, une multitude sans cesse en mouvement, en route vers son travail. Dans ce monde surpeuplé, pollué, usé jusqu’à la trame, où la nature est recréée dans des parcs, on fouille dans les dépotoirs pour récupérer les ordures et on recycle les cadavres dont la chair morte offre une alternative aux portions d’insectes broyés. Et si l’on n’est pas satis fait de sa condition, la police vient vous arrêter, car le Saint Office Dirigeant veille au grain, louant la Vie, combattant le gaspi et l’esprit de révolte. Mais il est bien rare de trouver un véritable opposant au régime. Les marges cachent du menu fretin, lui-même utile à la Communauté. Pas grand-monde au final, car le Saint Office encadre très strictement les esprits, interrogeant les fœtus sur leur désir de vivre dans un tel monde et proposant aux habitants âgés le suicide assisté, avec une pilule en guise de viatique vers l’au-delà, autrement dit l’assiette de son prochain.
Auteur emblématique de cette science-fiction teigneuse et énervée des années 1970, Pierre Pelot aligne les mots comme des cartouches. Il prend ici pour cible un lieu commun de la littérature : la connerie humaine. Loin d’être l’époque promise par le libéral-capitalisme, l’anthropocène a conduit l’humanité au bord du gouffre. Les hommes ont épuisé toutes les ressources du globe, contraignant leurs descendants à payer les pots cassés. Sous la poigne de fer du Saint Office Dirigeant, les valeurs humanistes ont été remises en avant. Le remède n’a pas tardé à porter ses fruits, une marée humaine dont le flux croissant a aggravé la situation. Pour le Saint Office Dirigeant, l’enjeu consiste désormais à désamorcer la bombe P.
Pessimiste, jusqu’au-boutiste, le roman de Pierre Pelot marque par son atmosphère mortifère. L’auteur se plaît à dépeindre un futur cauchemardesque, sordide, dépourvu de toute échappatoire. Le livre recèle de nombreuses fulgurances stylistiques qui contribuent à marquer l’esprit, y imprimant des visions dantesques. Elles viennent rehausser une intrigue donnant la fâcheuse impression de ronronner, au point de susciter hélas un ennui poli. Fort heureusement, le dénouement surprenant permet d’achever la lecture sur une touche plus positive, si l’on peut dire…
En dépit de ses presque quarante ans, Fœtus-party n’a donc rien perdu de sa noirceur glaçante. Le roman reste une lecture misanthrope très recommandable dont le propos s’apparente à un réjouissant jeu de massacre où la seule alternative à la mort demeure… la mort.
Etrange petit roman que ce Fœtus-Party qui plonge le lecteur dans un univers surpeuplé, quelque part entre 1984 et Soleil vert. Le Saint Office Dirigeant y édicte les lois, prétendues humanitaires, auxquelles nul n’échappe. Pour nourrir les populations, on recycle les morts et on fabrique des aliments avec des insectes. Pour avoir le droit de naître, les futurs nouveau-nés sont interrogés lors du cinquième mois de grossesse pour que l’on détermine s’ils ont le désir de vivre dans cette société.
Bref, c’est un futur lointain mais peu reluisant que nous décrit Pierre Pelot. Le récit est éclaté entre plusieurs personnages : un dealer qui œuvre en dehors du système, de futurs parents dont c’est la troisième et dernière chance de voir naître leur enfant, le candidat d’un jeu cruel, et enfin un amnésique à qui l'on fait visiter ce monde dans toute son horreur. Ce dernier récit, qui est le plus important, n’est hélas pas le plus réussi. La description de la société est en effet un peu trop didactique et il est difficile de s’identifier à ce personnage sans identité ni volonté. Les affres des futurs parents en détresse, ou la terreur du candidat à qui le sort a attribué le mauvais rôle sont bien plus percutants.
Mais l’auteur accorde assez peu d’importance a ses personnages, se concentrant sur la description des horreurs d’un système absurde où le meilleur service qu’un humain puisse rendre, c’est de mourir pour le bien de tous. La fin qui relie habilement tous les fils permet néanmoins de clore ce petit roman sur une bonne impression.
Ce n'est un secret pour personne que Pelot est le vrai nom de Suragne du Fleuve Noir. Selon la prière d'insérer, ceci est « la première œuvre littéraire... d'un jeune auteur qui, jusqu'à présent, avait écrit plusieurs ouvrages de série » : mais ceux qui ont lu Mais si les papillons trichent. Vendredi par exempleou le Septième Vivant, entre autres, savent bien que Pelot-Suragne n'a pas attendu d'être admis chez Denoël pour faire œuvre littéraire, quand bien même il utilise souvent « le mauvais goût pour arme efficace » (p. 22). Arme ? oui, puisque le sujet, ou plutôt l'un des deux sujets, celui qui fournit le cadre, est la récupération tardive de l'écologie par le système : avec le « Saint Office Dirigeant », le sabre et le goupillon s'adjoignent la branche ; n'ayant plus même la nature pour refuge, les dissidents ne disposent plus que des ordures, qui donnent lieu à des chapitres dignes du Ruellan deTunnelet à trois pages (123 sq.) de poème en prose. Mais, dans cette société comme dans le corps, merde et matrice sont proches ; et Pelot, à sa manière discrète et rapide, jette des ponts sur les sombres abîmes entre sociologie et psychanalyse, en jouant aussi habilement qu'un Dick ou un Jeury sur des rapports subtils entre réalité et illusion, ou mieux : réalités et illusions. Un livre vite lu, mais qui ne s'oublie pas.