Écrit en 1967 par un Stephen King étudiant et révolté, Marche ou crève est un effroyable voyage dans un futur proche où les États-Unis sont devenus une dictature militaire fascisante. L'attraction la plus médiatique et populaire de cette Amérique décalée s'appelle « La Longue Marche » et réunit cent concurrents, des jeunes adultes, qui doivent aller jusqu'au bout de leurs limites et de l'horreur. Ce marathon est soumis à des règles démentes : ne pas s'arrêter et ne pas ralentir en deçà d'une certaine allure. Tout contrevenant s'expose à un avertissement et, au bout de trois avertissements, le fautif est abattu d'une balle dans la tête. Le vainqueur de ces jeux du cirque futuristes ? Le dernier coureur survivant.
Comme la plupart des romans signés Richard Bachman, Marche ou crève est une histoire noire, haletante, servie par un style concis et épuré, un sens de la narration infaillible et par des personnages solides et justes. Critique virulente d'une Amérique ultra-libérale, empoisonnée par les relents de l'ultra-droite conservatrice, prisonnière du joug malsain des médias, « La Longue Marche » est l'incarnation des pires maux d'une société prônant l'élitisme et l'individualisme forcené. Stephen King, sous le masque de Richard Bachman, explore une veine radicale et ne cherche pas à dissimuler sa haine envers un système politique à la dérive et son profond attachement à l'humanité. Cette dimension sociale est une constante dans l'œuvre de Bachman, elle lui permet de créer des personnages crédibles, humains, attachants et fragiles. Le lecteur s'attache aux pas de Ray Garraty, le personnage principal du roman, le suit dans ses rencontres, ses pensées, ses souffrances et subit l'inexorable déroulement de l'épreuve avec son cœur bien plus qu'avec sa tête. Contrairement à Running Man, qui se déroule dans le même univers et utilise la même ligne directrice, Marche ou crève est une réussite indéniable où nous pouvons entrevoir ce qu'aurait pu devenir King s'il avait choisi la science-fiction plutôt que l'horreur.