Soldats de père en fils depuis des siècles, conditionnés avec dans leurs chromosomes un instinct guerrier indestructible, tels sont les Monarques qui composent la garnison des Confins de la planète BI. Une planète paisible peuplée d'êtres doux, les Bios, indigènes nonchalants et voluptueux qui offrent aux Monarques le désastreux spectacle de leur vie dépravée. Parfois l'un de ces seigneurs de la guerre déserte pour goûter les joies défendues d'une existence vouée au seul plaisir. Mais jamais il n'arrive à oublier complètement ses origines et ne sera plus qu'un Terrien nostalgique, rêvant de son paradis-caserne perdu.
Critiques
G.J. Arnaud première manière, avec un des rares romans qu'il a donnés à « Anticipation » en 1972, avant son retour et la fameuse Compagnie des Glaces.Les habitants de Mara, du moins deux d'entre eux, partent à la découverte de Bi, planète sous le contrôle militaire des Monarques, peuplée d'indigènes rabelaisiens, les Bios. Il s'agit de la classique opposition entre deux cultures contradictoires : la Fédération terrienne engoncée dans ses règlements et les doux écologistes qui dépendent de l'entité vivante qu'est leur planète. Rien donc de bien original dans ce deuxième roman SF d'Arnaud qui découvrait le genre et ne pouvait manquer de tomber dans le piège des poncifs. Pourtant, indiscutablement, le bonheur de l'écriture est certain. Une chose est à regretter : pourquoi ne pas avoir publié le premier volume de la série : Les croisés de Mara ?
J’avais déjà signalé (Fiction n° 216) que l’entrée en SF de G.J. Arnaud, très prolifique auteur des séries Espionnage et Spécial Police du Fleuve Noir, avec Les croisés de Mare, avait été marquée par une réussite. Cela se confirme avec Les Monarques de Bi. Accessoirement, on pourra noter que G.J. Arnaud est un des rares écrivains non-spécialistes ayant eu l’honneur de réussir le difficile passage vers la science-fiction…
Sous-titré « Chroniques de la Grande Séparation », Les Monarques de Bi se veut la deuxième partie d’une épopée spatiale qui en comptera bien d’autres, et qui sera consacrée à la recherche de la Terre, oubliée quelque part dans l’espace à la suite de grands conflits galactiques. On se souvient qu’à la fin des Croisés de Mara, Laur le Négociateur, sa compagne Jea et l’androïde télépathe Xond avaient pu s’échapper de Mara (planète dont le vieillissement est cent fois plus rapide que partout ailleurs) à bord d’un vieil astronef, l’Ogive. Il aborde dans le présent volume Bi, une planète édénique où vivent les Bios, humanoïdes qui ont refusé toute civilisation technocratique, vivent en symbiose avec des plantes semi-intelligentes, ne connaissent pas la structure familiale ni les frustrations qu’elle entraîne, et dont l’existence baigne dans une perpétuelle fête des sens. Ce rêve de certains écologistes et de certains révolutionnaires est naturellement entravé par la présence sur Bi d’une garnison de Monarques, mercenaires galactiques issus d’une rigoureuse sélection génétique, retranchés dans une forteresse formidablement armée, qui est coupée de toute relation avec l’Empire à la suite de la « Grande Séparation ». Puritains, les Monarques ne supportent pas les mœurs libérées des Bios et font de fréquentes « descentes » dans leurs villages, où ils se livrent au pillage et au meurtre. Pacifiques biologiquement, les habitants de Bi se laissent massacrer sans se défendre.
Ce sont finalement les plantes qui en définitive régleront leur compte aux Monarques (dont certains survivants se décident à adopter le mode de vie des Bios), après une série d’aventures où prennent une part prépondérante les rescapés de Mara, qui repartent en fin de volume pour leur mythique recherche de la Terre, et d’autres aventures en cinémascope et en couleurs.
Tout le roman est centré, comme on le voit, sur l’opposition très symbolique entre deux conceptions fondamentalement opposées de la vie : rêve de chair contre réalité de fer. Les motivations de G.J. Arnaud et sa moralité sont très sympathiques, mais ce ne sont pas là les seules qualités d’un livre qui est bourré d’inventions de détail par exemple ces mines de viande fossile provenant d’un organisme gigantesque enterré au cœur de la planète, et que les Sangres (sortes de « poux géants ») exploitent pour les Bios ; par exemple ce « bois des Mots Perdus », où les végétaux dégurgitent automatiquement tout ce qu’ils ont assimilé du langage humain (« Ils mêlent les légendes à des plaisanteries scabreuses, des informations scientifiques à des histoires à dormir debout » : page 115) ; par exemple encore la chambre de dissociation où les Monarques enferment leurs prisonniers, qui y sont alors assaillis par des projections fantasmagoriques de leur moi secret…
Tout cela est décrit sans phrases inutiles, et le roman est bâti avec un bon sens du montage. Toutes ces qualités solides peuvent laisser espérer que G.J. Arnaud est peut-être le Stefan Wul des années 70. S’il n’en est pas encore tout à fait à ce niveau, il est en tout cas sur le bon chemin. Espérons qu’il saura s’y maintenir.
Denis PHILIPPE Première parution : 1/9/1972 Fiction 225 Mise en ligne le : 1/3/2019