Le Nain Noir, cette formidable et troublante évocation des légendes du Border, est plus qu'une introduction au cœur de l'Ecosse fantastique. Dans un enchevêtrement de grands mots et de beaux gestes, cette œuvre de la terre, de l'air et du feu longe désespérément les frontières du roman noir. Des portes secrètes s'y ouvrent sur des réalités dérobées où les dépossédés triomphent, où les langoureuses héroïnes sont secourues par des héros tonitruants et où les brigands et les traîtres se voient confondre en un ultime coup de théâtre.

     Walter Scott (1771-1832), ce chantre de l'incongruité des choses déchues et des temps révolus, déploie là les détours d'un savant et minutieux cortège de supercheries, coups fourrés, intrigues, traquenards, enlèvements, rapines, faux-semblants et insurrections avortées.

     Pour cet anti-romantique, apôtre et précurseur de l'esprit victorien, que Dumas, Tolstoï et Stendhal reconnurent pour maître à écrire, être successivement et non sans succès avocat, poète, sheriff, éditeur, banqueroutier, baronet, et enfin auteur de Rob Roy, Quentin Durward, La fiancée de Lammermoor et Ivanhoe, c'était aussi avoir un pied dans l'aventure...

     Les romans historiques de Walter Scott ont sans doute bercé votre enfance. Qui n'a pas rêvé avec Ivanhoé et Quentin Durward ? On sait moins que Scott s'est essayé aussi au roman — gothique. Le Nain Noir est de cette veine, une œuvre pas très connue, sauf de François Rivière, bien sûr, qui passe ses nuits dans les recoins poussiéreux des grandes bibliothèques parisiennes pour découvrir de petits livres publiables dans son intéressante série Marginalia, aux côtés de Level, Magog, Féval et Claretie.

     Curieusement, Walter Scott s'essaie au gothique tout en niant le surnaturel, et c'est ce jeu de rapports entre les clichés du fantastique et leur négation qui est attirante... « Je ne crains pas de pareilles folies », dit l'héroïne quand on lui parle des spectres. Comme pour bien montrer que les vraies « folies », celles dont il faut avoir peur, sont celles des hommes. De fait, chez Walter Scott, les humains sont beaucoup plus sanguinaires et cupides que les fantômes.

     Une galerie de portraits, de magiques descriptions de lieux désolés d'Ecosse, du vent de la lande et des brigands. Tout y est pour faire frénétique. Et si le livre est parfois un peu embrouillé, la magistrale figure du Nain Noir, ce gentilhomme difforme qui hait le genre humain, restera sans doute un repère dans la littérature fantastique.