« Ecrivain à part entière, Daniel Walther est l'homme des épouvantes quotidiennes, fussent-elles projetées dans quelque futur plus ou moins proche, comme dans la plupart de ses nouvelles dites de science-fiction... Quelque chose me dit pourtant que Walther est atteint du bonheur d'écrire. Mais son bonheur - son bonheur fou - a un parfum de soufre et ses joies sont incendiaires. Elles brûlent l'esprit et embrasent notre vigilance, notre regard. Après lui, on ne peut plus voir le monde qui nous entoure qu'avec angoisse. Walther, écrivain de la nuit. Les saisons du cauchemar universel sont celles de ses propres désarrois. Walther et l'écriture éclatée - images des météores éparpillées aux quatre coins de l'épouvante. »
Ces lignes, extraites de la préface inspirée de Jean-Baptiste Baronian au premier recueil de Daniel Walhter chez NéO. Les quatre saisons de la nuit, numéro 20 de cette collection, semblent aussi avoir été écrites, prémonitoirement, pour le présent numéro 200 : sixième recueil, chez NéO, de celui que nous considérons comme le plus grand écrivain français de science-fiction et de fantastique de cette fin de siècle.
« Fin de siècle » ? Les deux genres littéraires dominants du XIXe siècle, la poésie et le roman, virent fleurir, sur sa fin, des œuvres vénéneuses... A la fin du XXe siècle, où la pollution et des formes nouvelles de maladies occupent le devant de la scène, le genre littéraire qui - avec le roman noir - lui appartient en propre, la science-fiction, est peut-être en train de voir éclore des « fleurs du mal »...
Né en 1940 à Munster (Alsace), Daniel Walther est journaliste dans un grand quotidien de l'Est. Il dirige chez Opta, le Club du Livre d'Anticipation (CLA) et Galaxie-Bis. Grand Prix de la science-fiction française. Prix Europa SF Spécial, il a publié douze romans dont Krysnak ou le complot, Happy End (Denoel), L'épouvante (J'Ai lu), Le livre de Swa, Le destin de Swa, La légende de Swa, La pugnace Révolution de Phagor (Fleuve Noir) et sept recueils de nouvelles : Sept femmes de mes autres vies (Denoel) et, chez NéO Requiem pour demain, Les quatre saisons de la nuit, L'hôpital et autres fables cliniques, Nocturne sur fond d'épées, Cœur moite et autres maladies modernes, Le Rêve du Scorpion.
1 - Le Rêve du Scorpion, pages 5 à 8, nouvelle 2 - Battements d'ailes, pages 9 à 16, nouvelle 3 - La Vitre du penseur-homme, pages 17 à 38, nouvelle 4 - Les Cartographes du désert bleu, pages 39 à 81, nouvelle 5 - La Nuit où la Grande Cloaque débordera, pages 82 à 88, nouvelle 6 - Arcadie ; soleil blanc, pages 89 à 93, nouvelle 7 - Catharsis, pages 94 à 106, nouvelle 8 - Les Nouveaux travailleurs de la mer, pages 107 à 119, nouvelle 9 - Le Labyrinthe du Dr Manus Hand, pages 120 à 136, nouvelle
Critiques
Un semi-silence paraît s'organiser autour d'un écrivain bien vivant, et même mieux : en pleine puissance créatrice. Au sein de la fiction spéculative française, Daniel Walther est cependant un des rares auteurs à avoir pu imposer son nom au-delà des limites restreintes, tout enviées fussent-elles, du cercle des passionnés. En cela, il partage le sort enviable que connaissent Jean-Pierre Andrevon, Michel Jeury, Gérard Klein... Avec, en outre, la singularité de produire sans discontinuer, tout en variant considérablement ses thèmes d'inspiration.
Dès lors, il est pour le moins curieux de constater la tiédeur des réactions critiques, ou le mutisme pur et simple suscités par la publication d'un récent recueil signé Walther : Le Rêve du Scorpion. Parmi les rares recensions qu'il m'ait été donné de lire, des remarques négatives foisonnent, qui soit sont connexes au livre (certains textes datent d'une dizaine d'années, peu d'entre eux sont inédits), ou prennent la forme de jugements à l'emporte-pièce : des récits seraient faibles, la structuration du recueil laisserait à désirer. Sans dire pourquoi tel récit serait moins bon qu'un autre, ni expliquer quel défaut majeur entacherait l'articulation de ces différentes proses... Walther vu de l'extérieur, jaugé au feeling.
Or, lorsqu'on ouvre ce recueil, une lecture transversale est déjà suffisante pour accrocher le regard, pointer une constante : l'omniprésence de citations. La multiplication de noms d'auteurs — science-fictionnels ou non — mis en exergue d'un texte, ou dont des bribes de l'oeuvre sont intégrés à telle ou telle fiction. Or, s'il est lu avec attention, le texte initial — qui donne à l'ensemble son titre particulier — , est plus qu'un exercice d'admiration dédié à Borges. Au-delà de l'hommage ponctuel à l'auteur des Fictions, Le Rêve du Scorpion intègre à l'univers de Daniel Walther l'attirance pour un livre total, qui contienne tous les autres, puis module cette illusion d'une variante plus réaliste : réussir un livre personnel, tout en y insérant des lectures aimées, telles quelles ou démarquées. Et de texte en texte, le projet prend forme.
Ou mieux : prend formes. Soit que Walther use du procédé banal de l'extrait liminaire (Battements d'ailes), soit qu'il présente ses auteurs familiers en une constellation d'acteurs secrets (La Vitre du penseur-homme), soit encore qu'il fasse de la texture même de textes célèbres, une fois détournés, la matière de sa fiction (la Juliette de Sade est le Mein Kampf de qui vous savez, dans Le Labyrinthe du Dr. Manus Hand)... Et Walther, polygraphe inspiré, peut aussi conjuguer et complexifier plusieurs des procédés. Lire Les cartographes du Désert bleu, qui, à des emprunts avoués, mêle la recréation d'une prose religieuse orientale. Ou encore Les nouveaux travailleurs de la mer, conciliation sur le mode SF d'un lyrisme carrément hugolien, et de cette délicatesse suante des petits maîtres érotiques du XVIIIe...
On conçoit que la variété des moyens ait pu passer pour de la versatilité, aux yeux de commentateurs pressés. Erreur d'autant plus regrettable que des thèmes majeurs traversent comme autant de fils rouges l'apparente diversité : incommunicabilité, pouvoir et impuissance, attrait sensuel de la mort. Soif insensée de violence, au plus souvent autodestructrice, qui fait songer à la manière dont certains scorpions choisissent de se donner la mort, dit-on, en retournant contre eux-mêmes leur aiguillon empoisonné. Devrais-je insister davantage sur la cohérence du recueil...
Il faudrait, en tout cas, souligner la manière dont Walther adapte son écriture à l'ambiance spécifique de chaque narration. A ce propos, le plus simple est sans doute de rappeler qu'il y a près d'un an, Emmanuel Jouanne a mis à profit une de ses collaborations au supplément littéraire du quotidien Le Monde pour introduire un distinguo entre les littératurants — ceux de Denoël, Présence du Futur — , et les raconteurs célébrant chez J'ai Lu la primauté de l'action sur la manière de dire. Classification pratique, séduisante, et d'autant plus discutable qu'elle paraît convaincante. Jouanne serait d'ailleurs, me semble-t-il, le premier à admettre ce que son étiquetage a de sommaire : il s'agissait alors de trouver des concepts ordonnant quelque peu l'apparente incohérence de la production SF francophone. Repérer des lignes de force, qu'une foule d'exceptions contredisent aussitôt, et dont l'inventaire n'est pas la question du jour.
Si je m'en réfère à ces deux pôles créatifs privilégiant l'écriture, ou l'intrigue, c'est pour dire l'aisance avec laquelle Daniel Walther se meut entre chacune de ces exigences. Il y a chez lui une constante fusion entre la fluidité de l'action et le travail textuel, dont Le Rêve du Scorpion (qui, tiens, n'est publié ni chez Denoël, ni chez J'ai Lu), offre une démonstration achevée : réussir un recueil où les péripéties se bousculent, tout en satisfaisant une fascination pour le livre en tant que tel, et pour la mise en place d'un jeu de citations, voilà qui tient de la prouesse. Et démontre que Daniel Walther est un auteur complet, renvoyant dos à dos les distinctions d'écoles.
Pour des raisons qu'il expose dans un récent numéro d'Ere Comprimée, Daniel Walther s'était fait rare depuis deux ans, même s'il publiait une nouvelle de temps en temps et signait les éditoriaux de Fiction. Un seul ouvrage en deux ans, pour quelqu'un de sa carrure et de son importance, c'est peu. Surtout quand l'ouvrage en question est La Marée Purulente, publié dans l'inqualifiable collection Gore... C'est pourquoi j'attendais avec impatience ce nouveau recueil, qui contiendrait, du moins l'espérais-je, nombre d'inédits de choix (ou de rééditions, les lecteurs de recueils ne lisant pas forcément les revues et les anthologies) du calibre de ceux publiés dans ses précédents recueils, Sept Femmes de mes Autres Vies, Nocturne sur Fond d'Epées ou encore Cœur Moite et Autres Maladies Modernes, pour ne citer qu'eux. Malheureusement, Le Rêve du Scorpion n'est qu'un ouvrage de transition, ou plutôt un fourré-tout réalisé à la hâte, composé de textes d'intérêts divers et relevant de genres différents puisque SF et Fantastique s'y côtoient allègrement, ce qui, d'ailleurs, ne constitue pas un problème en soi. Simplement, on ne ressent pas, à la lecture, le souffle qui animait les titres susnommés ; on a plutôt l'impression qu'il a tenté d'organiser autour de ses inédits récents un recueil cohérent qui ne l'est finalement pas : les textes réédités (de Mouvance et d'anthologies parues chez Kesselring et Ponte Mirone) ne font pas partie de ses meilleurs jamais repris sous forme de livre, et les inédits (« La Nuit où la Grande Cloaque Débordera », « Arcadie : Soleil Blanc »...) ne sont pas toujours convaincants, étant parfois mineurs...
Restent deux nouvelles faisant à elles seules la moitié de ce petit livre de cent trente cinq pages : « La Vitre du Penseur-Homme », qui faisait initialement partie de Utopies 85 que devait faire paraître Klein chez Laffont, et, surtout, « Les Cartographes du Désert Bleu », pièce maîtresse de l'ouvrage et véritable morceau d'anthologie, assurément une des cinq meilleures nouvelles françaises de SF de 1987, ainsi qu'un bref hommage à Jorge Luis Borges donnant son titre au recueil.
Évidemment, on pourrait regretter que Walther n'ait pas utilisé ces trois textes pour bâtir un autre recueil, plus esthétique et littéraire, mais les choses sont ainsi et je considérerai, comme dit plus haut, qu'il s'agit ici d'un recueil de transition, annonçant de très nombreux recueils et romans de tout premier plan, tels L'Épouvante et Les Quatre Saisons de la Nuit. Et puis, même si Le Rêve du Scorpion reste son recueil le plus faible, malgré la présence du joyau qu'est « Les Cartographes du Désert Bleu », Daniel Walther demeure, quoiqu'en disent ses détracteurs (de moins en moins nombreux au demeurant), l'un des plus grands écrivains français de Fiction spéculative et de Fantastique !