Sur le moment, Jonathan Childes s'est cru victime de la fatigue. C'était comme si une volonté extérieure pénétrait dans son esprit. Et soudain, cette horrible vision, oubliée depuis trois ans : une créature obèse, semi-humaine, sortant un petit cadavre de son cercueil pour le découper, en extraire le coeur et s'en repaître à la lueur de la lune. Et c'était comme si lui, Jonathan, dans sa belle maison au bord de la mer, était cette créature.
Pour fuir ces visions d'horreur, il a quitté l'Angleterre, brisé son mariage, tenté de se refaire une vie. Mais les meurtres l'ont rejoint et reprennent de plus belle. Et Jonathan doit à nouveau tout raconter à la police, parler de communication télépathique. A quand son tour d'être assassiné, lui, l'empêcheur de tuer sans témoin ?
Jonathan Childes est professeur dans un collège de jeunes filles d'une île britannique, genre Jersey. Un jour qu'il se baigne, d'épouvantables visions sanglantes le visitent. Et pendant ce temps, sur le continent, une prostituée se fait assassiner, éventrer, mutiler. On aura reconnu là une thématique qui nous est familière depuis Les yeux de Laura Mars (mais il faut également citer La nuit hurle, de Pronzini et Malzberg, paru il y a quelques années en Engrenage International) : les pouvoirs paranormaux qui permettent à un homme (ou une femme) de « voir » des meurtres présents ou à venir, d'entrer en contact avec le cerveau d'un assassin, qui va se rendre compte du danger et se lancer aux trousses du voyant... Pierre de lune n'innove en rien sur ce postulat, dont il est au contraire une illustration fidèle et classique. Ce qui ne veut pas dire sans surprises : Herbert (James), auteur britannique plutôt irrégulier, nous offre une variation pleine de suspense et de rebondissements sur cette trame qui commençait déjà à être pas mal rebattue.
Une des originalités mineures du roman est de nous présenter Childes alors qu'il a déjà par le passé expérimenté ses pouvoirs (un assassin d'enfant a été découvert trois ans auparavant grâce à son don), qu'il croit être tiré d affaire, et qu'il sait d'avance ce qu'il va endurer. Par contre, l'auteur ne fait qu'effleurer une grosse ficelle trop attendue : la fille de Childes manque d'être en butte aux agissements du psychopathe — mais c'est finalement une autre fillette qui est assaillie. Le style d'Herbert (que son traducteur semble n'avoir pas vraiment peaufiné) manque un peu de subtilité, et le lecteur est gêné, pendant les vingt ou trente premières pages, par l'abus de clichés. Mais, suspense aidant, on passe vite sur ces rugosités dès lors que l'action est bien engagée. Son point culminant est l'incendie criminel du collège ou travaille Childes (et qu'il avait prévu en ayant une vision de la main d'une de ces élèves rongée par les flammes) — un chapitre hallucinant, qui semble ne jamais devoir finir, et où l'auteur sait développer tout à la fois l'horreur et le désespoir. Les cinquante ou soixante dernières pages traînaillent quelque peu, et une fin plus sèche aurait été préférable à la longue confrontation entre Childes et la « créature », dont l'identité par ailleurs déçoit (c'est une parfaite inconnue, alors qu'on pouvait subodorer que le monstre faisait partie de l'entourage du héros). N'empêche qu'avec ses points forts et ses points plus faibles, Pierre de lune est ce qu'on peut appeler un ouvrage efficace, qu'on ne lâche pas une fois qu'on l'a ouvert.