HEYOKA : Qui est privé de raison.

     WAKAN : Qui est sacré.

     Ainsi aurait traduit le Cheyenne.

     Autrefois, les hommes fiers qui vivaient dans les montagnes et les plaines d'un continent que personne encore n'avait cru devoir baptiser « Amérique », vénéraient ceux d'entre eux dont le froid avait volé la raison.

     Yvan, le fils des Yakoutes de Verkhoïansk, subit la même épreuve qu'Adam, né dans la Grande Réserve du Montana.

     Entre eux la guerre, la peur, la mort, la propagande, le mensonge, l'immensité glacée de l'Antarctide.

     Jusqu'à ce que du chaos qui s'installe surgisse l'allié immense et fantastique, Seigneur le Froid, qui peut changer l'esprit des hommes et les rend semblables aux dieux anciens.

     Depuis qu'il signe de son seul nom, Jean-Louis Le May a une production assez irrégulière ; certains titres sont faibles, il faut bien le reconnaître (Safari pour un virus et L'alizé pargélide), alors que d'autres frisent le chef-d'œuvre (L'ombre dans la vallée et ses suites : Le viaduc perdu et Le verbe et la pensée).

     La dernière livraison, au titre étrange de Heyoka Wakan, se place sans peine dans cette seconde catégorie.

     Le thème est loin d'être original : la guerre atomique totale ; mais le traitement dépayse agréablement : les personnages sont les hommes et les femmes occupant les bases soviétiques et américaines du Pôle Sud. Ils sont nombreux mais pour la plupart à peine esquissés (à l'exception du principal : Adam Scott, de souche cheyenne, ce qui explique le titre), car le seul qui ait vraiment de l'importance est le Froid, « seigneur le Froid », ainsi que l'appelle le dos de couverture. Un froid mortel comme l'atmosphère raréfiée de Mars, qui forme la trame du roman, la charpente du récit. (« Température extérieure moins 28 degrés. Un soleil probablement étincelant ») Le froid qui rend fou (« Heyoka Wakan » = fou sacré, mais sans nuance péjorative), qui impose aux personnages l'image des êtres chers (Irina pour Yvan, le Iakoute, Floyd et Leen pour Scott, le Cheyenne).

     Le May possède un style fait de vulgarité et de poésie qui convient parfaitement au récit, vu par le biais de militaires dont le principal palliatif à l'isolement est le sexe à outrance.

     Vraiment un très bon bouquin (par la taille aussi, car il fait aux alentours de 350000 signes), une nouvelle réussite de la collection Anticipation, collection qu'il est désormais absurde de bouder.