POUR QUI SONNE LE CLA
(J'étais tenté d'écrire « Pour qui chante... » mais je préfère sacrifier une nouvelle fois aux « mauvais » jeux de mots, laissant mes détracteurs éventuels me trouver de meilleures formules).
Evelyn E. Smith, écrivain, novelliste, romancière et responsable, après maints écrits dans Fiction, Galaxie et autres anthologies du type « Histoires à rebours », d'un énorme pavé de 570 pages sous couverture frappée du sceau du météore (illustrations de Brantonne), vient donc enfin de prendre place sur le rayonnage du parfait petit amateur de science-fiction ne lisant que le français. C'est tardif pour ce qu'il est convenu d'appeler un vieux routier du genre. C'est surprenant en tout cas pour un lecteur habitué aux vieux space-opera ou aguerri aux nouveaux méandres d'une écriture moins traditionnelle utilisée à des fins revendicatrices. En fait, la question qui pourrait être posée serait la suivante : à qui s'adresse Planète Impopulaire et quel but poursuivait Evelyn Smith en rédigeant les mémoires de Nicholas Piggott ?
Il n'est assurément nul besoin de se livrer à un décompte pour constater un véritable festival-répertoire des poncifs en vigueur dans le domaine que fréquente l'auteur. Tout l'art de celui-ci consiste donc à les amener progressivement sur le devant de la scène sans avoir tellement l'air de vouloir y toucher et avec une technique corrosive qui laisse à penser que bien hardi serait le confrère d'Evelyn qui se risquerait à jongler désormais avec l'espace, les extra-terrestres et les conquistadors spatiaux. Néanmoins, limiter à cela un si copieux récit, où les aventures se succèdent selon un style narratif le plus souvent chronologique, serait enlever à l'écrivain une verve desservie toutefois par une écriture au classicisme encombrant. C'est que la satire qui pétille tout au long des dix-sept chapitres, eux-mêmes décomposés en diverses parties, n'épargne guère le pauvre spécimen humain qu'est le héros Nicholas Piggott. Et à travers lui une société humaine soumise aux caprices de quelques dirigeants, eux-mêmes assujettis aux exigences d'ordinateurs qui n'ont pas, semble-t-il, en mémoire la connaissance du monde sub-terrien et des Mésitérits anges gardiens de Nicholas le chantre, le cancre, le futur souverain de Paradis, planète située à plusieurs mois de la Terre, escales comprises.
Roman déroutant à n'en pas douter. Roman peut-être un peu glacé, comme la jaquette dont se recouvre désormais chaque volume du CLA. Roman à nombreux tiroirs où explosent les pièges grinçants des rires enchâssés de Evelyn Smith, auteur différent de la science-fiction, écrivain à la fantasy anti-héroïque qui étonnera autant les aficionados des « maîtres » de l'âge d'or que les inconditionnels de l'introspection ou de la démolition-fiction. Voilà peut-être un pont entre deux conceptions ou entre deux époques.
Jean-Pierre FONTANA (site web)
Première parution : 1/12/1978 dans Fiction 296
Mise en ligne le : 14/3/2010