Et encore une nouvelle collection S-F ! Y a pas à dire, les auteurs doivent se frotter les mains : côté débouchés, y a de l'ouverture. D'autant que « Poche Revolver S-F » devrait principalement, voire exclusivement, proposer des textes français. Voilà une chose qu'elle est bonne ! Autre excellente initiative, la volonté affichée de mitiger les titres proposés entre inédits et rééditions (à moins que ce ne soit qu'un choix marketing pour lancer la collection, ce qui est toujours envisageable). On insistera jamais suffisamment sur l'importance des rééditions : entretenir un fonds suffisant d'ouvrages disponibles, c'est travailler pour l'histoire, pour la pérennité d'un genre.
Blue est le premier titre de cette nouvelle collection et, aussi, sa première réédition — une réédition clairement avouée sur la quatrième de couverture, précision qui peut paraître aller de soit mais que certains éditeurs ont tendance a fréquemment oublier (voir plus haut chez J'Ai Lu avec Mytale). Et pour une première, c'est un bien joli coup.
Monde ravagé, guerres de gangs meurtrières dans un univers post-apocalyptique, on retrouve ici toute la violence de l'auteur des Dobermann (oui oui, les bouquins qui ont inspiré le film de Kounen — en cours de réédition chez le même éditeur), le dynamisme de l'accoucheur de Le temps du twist(un ouvrage sans doute plus abouti que Blue, disponible chez Denoël et qui valut à Houssin le Grand Prix de l'Imaginaire en 91). On se bat, on intrigue, on se tue, et tout cela dans un but, un objectif ultime : parvenir à franchir le titanesque mur qui entoure La cité, une muraille énorme défendue par les terribles Néons, un clan de guerriers énigmatiques, silencieux et dotés d'étranges facultés. Mais pour découvrir quoi, au fait ?
Si Blue n'est pas un chef-d'œuvre (pas celui d'Houssin, en tout cas...), c'est néanmoins un ouvrage d'une efficacité certaine, un court roman à la saveur délicieusement surannée (les thématiques de fins du monde sont nettement passées de mode, mais qu'importe), une occasion supplémentaire de regretter le départ de l'auteur vers les horizons mieux fournis en dollars du secteur de l'audio-visuel — un mercantilisme qu'on ne peut qu'excuser aux vues de ce que gagne généralement un auteur de S-F en France...
À redécouvrir, donc, en se souvenant que ce roman a fait l'objet d'une adaptation BD très personnelle de Gauckler, un album qu'on trouve encore sans trop de problèmes chez la plupart des soldeurs (15 FF chez Gibert, à Paris, et en plus en bon état, y a pas de quoi fouetter un huissier), et en regrettant, ça et là, les quelques coquilles de la première édition que l'éditeur à visiblement souhaité conserver, par souci d'authenticité, sans doute...
ORG Première parution : 1/1/1998 dans Bifrost 7 Mise en ligne le : 4/11/2003
Refermer Blue, c’est pour moi refermer la malle aux souvenirs. La faute à cette préface sensible de Mme Debats. Alors comme ça M Houssin vous déambuliez boulevard des Batignolles dans les seventies? J’ai arpenté quotidiennement le bitume entre la Place Clichy et le lycée Chaptal entre 1970 et 1974. Je ne vous y ait jamais croisé. Quel regret. J’aurais bien volontiers intégré votre gang des Patineurs ou celui des Monte-en-l’air, anciennes gloires locales. Il est vrai que les Batignolles, même en 70, n’avaient plus rien d’un faubourg. La place Clichy n’avait rien non plus d’un ghetto. C’était plutôt Babylon 5, à la confluence de plusieurs arrondissements et de plusieurs mondes. A l’ouest les rupins de Rome et de Villiers, au nord la banlieue de Clichy et de Saint-Denis, la foule interlope de Blanche ou Pigalle et les musicos de la rue Fontaine à l’est, et plus au sud mes échappées vers la Trinité et les éditions Opta. A Chaptal, les science-fictionneux au nombre de deux (à ma connaissance, un copain breton et moi) montraient timidement le bout de leurs nez. Ce fut mon univers.
Bref.
Blue met en scène un Paris post apocalyptique ceinturé par un Mur gardé par des créatures inquiétantes et sans pitié, les Néons. A l’intérieur les humains regroupés en bandes se partagent les lieux : les Patineurs, les Bouleurs au front de métal, les Musuls, ancien gang dominateur aujourd’hui réfugié dans les souterrains de la capitale, les Skins, les Youves, friands de trafics en tout genre, les Saignants dirigés par le redoutable Lame, les Errants vestiges d’anarchistes et enfin les improbables et pacifiques Krishie fournisseurs de viande avariée. Tout ce petit monde survit tant bien que mal à coups de baston et de revendications territoriales. D’autres, comme Blue le chef des Patineurs, rêvent de passer le Mur. A condition toutefois, pour ces indiens d’un nouveau genre, d’en passer par « l’unification des tribus ».
Banlieues à la dérive, ghettos de sinistres mémoire, mur de Berlin, les réminiscences pleuvent à la lecture du roman de Joël Houssin. D’aucuns se souviendront de New York 1997 le film de John Carpenter ou du désert du monde de Jean-Pierre Andrevon. Pour le commun des mortels les prisons demeurent des lieux d’exclusions nécessaires, les cités des no man’s land de pauvreté et d’altérité. Quelques romanciers sont persuadés du contraire. Dans le séminal Comte de Monte-Cristo, Edmond Dantès retrouve espoir auprès de l’abbé Faria avant d’aller affronter les Danglars, Mondego, Morcef et autres Caderousse. L’Humanité réside à l’intérieur des forteresses, l’Inhumanité à l’extérieur. Houssin y ajoute une noirceur à la Andrevon qui culmine avec cette scène où Tout Gris, narrateur et lieutenant de Blue guide son chef, selon les termes magnifiques de Jeanne-A Debats, tel « Antigone menant Œdipe » à travers « le miroir de leurs illusions ».
Ce roman précurseur d’Argentine témoigne d’une facilité d’écriture déconcertante et d’un art subtil de la progression dramatique. On s’attache à ces personnages qui dissimulent leur désespoir sous le masque de la cruauté ou de l’ignorance et en particulier à Blue et Tout Gris, figures classiques du Cavalier et du Juste, celui qui agit et celui qui sait. Pour ne rien gâcher, l’ouvrage reparaît dans une nouvelle collection en forme d’hommage aux défuntes et célèbres éditions Chute Libre. La livrée est superbe. Comme quoi on peut aller enterrer ses illusions et soigner sa tenue.