Marée montante : Les astronautes du « Homeward », descendants de l'équipage naufragé du « Starward », premier vaisseau stellaire, ont réussi leur retour d'Alpha du Centaure vers la planète-mère, la Terre, après cent trente années ! Mais ils ont voyagé à une vitesse supérieure à celle de la lumière et, contraction du continuum espace-temps oblige, en « temps objectif », cinq siècles ont passé... La Terre a bien changé ! Ils s'attendaient, certes, à voir leurs techniques dépassées par les progrès réalisés pendant tout ce temps, mais pas à ce monde incompréhensible où le véritable progrès, celui de l'épanouissement de l'homme, a cruellement démodé leurs mentalités primitives et barbares...
La science-fiction n'a pas seulement prévu longtemps à l'avance la bombe atomique et la conquête spatiale, elle a aussi imaginé les « mères porteuses »... Mais sur Mégarée (Thêta du Centaure IV), le problème est plus complexe que celui que nous connaissons : les Centauriens — et surtout les Centauriennes — ont subi des mutations qui les rendent très différents des Terriens et un mystère entoure la naissance de leurs enfants... Ecrite il y a plus de trente ans, La Rhu'ad n'a pas pris une ride et reste un chef-d'oeuvre d'originalité et de sensibilité.
Oiseau de proie est un récit à rapprocher des histoires d'aventuriers de l'espace imaginées par Catherine Moore et Liegh Brackett. Une "série noire" galactique avec des bouges où se côtoient des hors-la-loi de toutes les races (humaine et non humaines) et où les 7.65 sont remplacés pars des "jouets" programmés pour tuer...
Née en 1930, Marion Zimmer Bradley, écrivain américain, publia sa première nouvelle de science-fiction en 1953 et c'est, peu d'années après, Marée montante qui lui fit prendre définitivement sa place parmi les grands auteurs du genre. Mais elle connut un succès populaire considérable d'abord avec sa série de romans de « science-fantasy » sur la planète Tenebrosa dont quatre ont été traduits en français (chez Albin Michel) : La chaîne brisée, La planète aux vents de folie, Reine des orages et L'épée enchantée, puis avec des best-sellers historiques et merveilleux comme Les dames du lac et Les brumes d'Avalon (un gros roman publié en France sous ces deux titres dans une traduction regrettablement trafiquée) dont Isaac Asimov affirme qu'il s'agit du meilleur roman qu'il ait lu sur le mythe arthurien.
1 - Daniel WALTHER, Les Brumes d'Avalon. L'oeuvre (versatile) de Marion Zimmer Bradley, pages 5 à 10, préface 2 - Marée montante (The Climbing Wave, 1955), pages 11 à 72, nouvelle, trad. Régine VIVIER 3 - La Rhu'ad (Centaurus Changeling, 1954), pages 73 à 124, nouvelle, trad. (non mentionné) 4 - Oiseau de proie (Bird of Prey, 1957), pages 125 à 154, nouvelle, trad. P. J. IZABELLE
Critiques
Marion Zimmer Bradley, née en 1930, et dont la carrière remonte au tout début des années 50, souffre en France d'un grave détournement de carrière qui fait d'elle, sinon une inconnue, du moins un auteur fort (et injustement) méconnue. Pourtant sa première incursion chez nous remonte au n° 11 de FICTION (on était en 1954 et la plupart de nos lecteurs actuels n'étaient sans doute même pas nés), avec une des trois nouvelles incluses dans le présent recueil (La rhu'ad). D'autres textes, trop rares, suivirent au sein de notre revue, dont celui qui donne son titre à cet ouvrage et sur lequel je vais revenir... Au chapitre des romans, madame Bradley eut la malchance de se retrouver dans des collections considérées à tort ou à raison comme mineures : Le Masque-SF, et « science-fiction » de chez Albin-Michel, qui toutes deux ont d'ailleurs rejoint !e vaste cimetière des séries défuntes. C'est pourtant chez ce dernier éditeur que notre auteur se vit éditer quatre romans de sa belle saga de la planète Darkover (chez nous traduit par le hideux néologisme de « Ténébrosa »), dont l'un au moins, Reine des orages, est un vrai chef-d'œuvre d'heroic-fantasy. Mais ils passèrent inaperçus ou à peu près, alors qu'il s'agit aux Etats-Unis de best sellers qui comptent aujourd'hui une douzaine au moins de volumes... Comme s'en navre Daniel Walther dans sa préface, cette série demeurera certainement inachevée en France, pour de basses raisons éditoriales.
Mais c'est que chez nous, directeurs de collection comme fans sont fidèles, trop fidèles, et jusqu'à l'aveuglement, à la douteuse « politique des auteurs » : voilée par les ombres gigantesques d'Ursula Le Guin et de Kate Wilhelm, Marion Zimmer Bradley ne recueillait que moues dédaigneuses. Dernier avatar de cette méconnaissance : la traduction amputée, remaniée de son énorme évocation (féministe !) de la légende des chevaliers de la Table Ronde, Mists of Avalon, qu'un éditeur que je ne citerai pas à fait paraître en deux volumes (lesquels semblent être promis à un paradoxal succès) : Les dames du lac et Les brumes d'Avalon. C'est donc dire si ce NéO vient à point, à défaut de venir à temps.
Marée montante est une des plus justement célèbres novellas de la littérature de SF. Ce texte de 1954 fut publié en trois parties dans FICTION (n° 40, 41, 42), et repris sous le titre de La vague montante dans une anthologie éditée chez Marabout, Après... !a guerre atomique, en 1970. On en connaît le thème : un vaisseau parti coloniser le Centaure revient sur Terre après plusieurs centaines d'années historiques ; l'équipage aborde un monde où le concept de nations n'existe plus et où la science semble avoir disparu, au profit d'une économie primitive fondée sur la commune et l'agriculture... En réalité la technologie « utile » (médecine, communication) n'a pas été abandonnée, seulement mise en sommeil, en même temps que la « conquête » de l'espace. Ecologique avant ressort de l'écologie de la décennie suivante (mais l'auteur, dans des déclarations ultérieures, se réclamera de ce courant), marcusien même (mais qui, aujourd'hui, a encore en tête la pensée de Marcuse ?), ce court roman reste pour moi une pierre blanche de la SF qui pense, et même, j'ose l'écrire, qui pense « bien ». Il est peut-être utile de le lire, de le relire, en cet instant de notre histoire littéraire où la « jeune SF française » ne veut surtout pas penser à la politique, à l'idéologie, même à l'organisation des futurs possibles...
Surtout que, même si l'écriture n'a pas la flamboyance qu'on trouve dans les Darkover, même si certains traits du récit ont vieilli (les Centauriens sont restés chastes durant les cinq années qu'a duré le voyage de retour par ignorance de la contraception vue de l'année 1954, sans doute), Marée montante reste un texte passionnant, et qui s'intègre parfaitement à l'ensemble de l'œuvre de son auteur, tout axée sur la confrontation interculturelle entre Terriens et « Autres » (c'est aussi une constante de Le Guin). Un thème qu'on retrouve dans la Rhu'ad, où la confrontation se mue en une assimilation la plus complète possible, puisqu'une Terrienne doit faire porter son enfant par une Centaurienne (un texte qu'on comparera utilement avec Les amants étrangers de Farmer). Même si le troisième texte, Oiseau de proie, n'est qu'un thriller plus mineur, ce recueil répare une injustice en même temps qu'il nous remet à l'oreille une voix qui s'était quelque peu dissipée dont le torrent mêlé de la hard-science et du cyberpunkisme. A quand un Livre d'Or Bradley, monsieur Goimard ?