Poursuivant sa politique de révélation d'auteurs peu ou pas connus, la collection « Fictions » vient de s'offrir une recrue de choix en la personne de James Morrow, romancier américain de la nouvelle génération dont c'est la première publication dans notre pays.
L'arbre à rêves conte l'histoire de Quinjin, critique de frêves — nom formé de la contraction de fruit et de rêve — , sortes de pommes hallucinogènes dont la structure génétique a été codée pour procurer à celui qui les mange un rêve bien précis. On retrouve là une variation moderne sur le vieux thème du cinéma total, variation autorisant certains développements inédits.
Car Quinjin est convoqué par Clee Selig, inventeur des frêves, pour tester Le Guetteur vigilant, un frêve « lotus » — à savoir, hyperréaliste et capable de rendre fou celui qui l'absorbe. Mais Simon Kusk, créateur du facteur Lotus, est mort, assassiné par Selig. Quelqu'un aurait-il retrouvé son terrible secret ?
Naturellement, Quinjin mange la pomme — on notera au passage le délicieux symbolisme de cette action et ses connotations bibliques — , effectue un voyage mental qui a tout d'un bad trip et s'en sort intact... intact ? Rien n'est moins sûr. Et c'est le début d'une aventure endiablée, peuplée de personnages fortement typés, qui le conduira sur plusieurs mondes baroques en compagnie de sa fille, devenue folle après avoir goûté par erreur au Guetteur vigilant et dont le seul dieu est Goth... Mais qui est Goth ?
Il s'agit du second roman de James Morrow mais celui-ci a déjà la patte d'un écrivain professionnel. Le cadre de L'arbre à rêves, ses personnages frisant le cliché mais malgré tout humains, ses situations directement sorties des frêves les plus frénétiques dénotent une grande maîtrise du récit. Jouant sur des tableaux qui vont de l'humour à l'émotion, mêlant habilement une structure de roman populaire à des préoccupations plus profondes, Morrow a effectué un superbe travail sur la référence. Car le fait que Quinjin soit critique n'a rien d'innocent ; c'est précisément cette particularité qui va lui permettre de triompher du facteur Lotus et, comme dans les space-operas de l'Age d'Or, de sauver la galaxie humaine du terrifiant péril qui la menace. Conservant une distanciation, une perception au second degré qui renforce son récit, il a écrit là un roman traitant de questions graves sous son apparente légèreté. L'arbre à rêves ne révolutionnera certes pas la SF, mais il serait dommage de passer à côté de ce livre excellent à défaut d'être grand.
Roland C. WAGNER (site web)
Première parution : 1/2/1987 dans Fiction 383
Mise en ligne le : 19/1/2003