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Robinson du néant

Maurice LIMAT


Illustration de Gaston de SAINTE-CROIX

FLEUVE NOIR / FLEUVE Éditions (Paris, France), coll. Anticipation n° 537
Dépôt légal : 1er trimestre 1973
Première édition
Roman, 240 pages, catégorie / prix : nd
ISBN : néant
Format : 11,0 x 17,0 cm
Genre : Science-Fiction



Quatrième de couverture
     C'est une étrange angoisse d'ignorer qui on est, d'où on vient, de ne rien savoir de soi-même, ni de son passé.
     Et cela se complique lorsqu'on est affublé d'une curieuse et périlleuse faculté : celle de concevoir, sous la douleur, des visions précises de l'avenir.
     Tel est le cas de Luzil, l'Inconnu trouvé par hasard sur la planète Waxx, et dont on a confié l'éducation et l'étude à la jeune et séduisante psychologue Zikill.
     Utiliser Luzil, le faire refléter le futur sous la torture, par des moyens scientifiques, tel est le dessein des Technocrates qui règnent, inhumainement, sur la planète.
     La généreuse Zikill s'élève contre un tel projet, appuyée par le brave K'zoc, lui aussi révolté par ce régime impitoyable.
     Il faut sauver Luzil, et tous trois, avec le jeune pilote Abdil, réaliseront une évasion spectaculaire, fuyant sur un mini-astronef.
     Mais la guerre Interplanétaire s'engage.
     Mais les quatre amis, réfugiés sur le planétoïde Phto, vont y découvrir un monde inconnu, une Gemme géante dont les radiations semblent joindre le passé, le présent et le futur...
     Dans ce cadre vertigineux, l'Inconnu venu du néant finira-t-il par percer le secret de sa propre personnalité ?
Critiques
 
     [critique commune de Robinson du néant de Maurice Limât, Le Dieu de lumière d'Alphonse Brutsche et de Infection focale de Jan de Fast]

     Maurice Limât, on le sait, c'est la production en série. Chaque année, quatre livres au minimum dans la série « Anticipation » du Fleuve Noir, sans compter « Angoisse » et « Grands Romans ». Et ce depuis des lustres.
     Depuis des années, Limât, c'est aussi une forme quasi-masochiste de culture du néant littéraire qui est bien éloignée, au contraire, de se démentir ici. Ouvrons en effet ce numéro 537 de la collection « Anticipation ». Les pages 9 et 10 nous offrent la liste des ouvrages déjà parus de cet auteur prolifique. Le présent roman débute en page 11, avec dès la troisième ligne, une étourdissante démonstration de ce qui demeure la marque type de Limât : l'utilisation délibérée de l'impropriété. Il est en effet question, ici, d'un « azur vert ». Chapeau !
     Quant au récit si mal débuté, il utilise un thème bateau (à la coque des plus rouillées !) en s'ingéniant à s'interdire d'exploiter le moindre à-côté un peu moins banal. Convention des personnages, stupidité de leurs réactions, irrémédiable platitude des situations : il est admirable de réussir un tel néant. Même le sadisme lié au personnage central (qui « découvre l'avenir » dans des visions à lui révélées par la douleur) est complètement escamoté chez ceux — les méchants — qui lui imposent cette douleur. L'imagination de l'auteur s'exerce uniquement à côté de son objet du moment. Les décors pourraient racheter le reste. Mais les laboratoires automatiques et géants sont peuplés de cornues et d'éprouvettes, comme un labo d'alchimiste !
     Fort heureusement pour le Fleuve Noir et pour l'ensemble des lecteurs français, deux autres volumes récents s'éloignent sensiblement de l'ineptie limatienne. Je garde pour la bonne bouche Jan de Fast qui m'a enchanté et j'en viens au Dieu de lumière d'Alphonse Brutsche. Celui-ci demeure fidèle, dans ce nouveau livre, à son choix de quatre personnages principaux : deux couples, attachés à interchanger, en leur sein, les partenaires sexuels. Cette ornière personnelle de l'auteur est en elle-même assez originale — eu égard au genre de la collection qui l'accueille — pour être acceptée par nous avec une certaine reconnaissance. Il y a là une volonté délibérée d'échapper au conformisme des intrigues amoureuses à deux plaquées sur l'aventure.
     L'intrigue est bien ficelée, le récit ménage le nombre de renversements de situation et de rebondissements aptes à soutenir l'intérêt du lecteur. Les décors sont bien plantés, décrits avec une vie et une originalité qui n'échappent jamais à la cohésion nécessaire pour rejaillir sur les réactions des héros. Je pense surtout à ce propos à la ville désertée par ses anciens habitants, les hommes du futur, et livrée aux robots d'entretien, alors que seuls demeurent dans ses murs les « asociaux » que traquent sans relâche les « machines policières ». Le lecteur d'aujourd'hui trouvera dans ces pages pleines de couleur et d'action une image bien intégrée au récit de préoccupations sociales très actuelles. Cette critique, par la description minutieuse de sa démesure future, d'une économie humaine destructrice de la nature est logiquement déduite de prémisses trop souvent énoncées aujourd'hui, autour de nous, pour qu'elle n'introduise pas le lecteur dans une inquiétude bien propre à susciter son intérêt.
     Bien sûr, cette histoire joue sur des décrochements temporels, à la fois dans le futur et dans le passé, que l'utilisation assez approximative du « paradoxe de Langevin » ne suffit pas à excuser quant aux facilités offertes à l'auteur pour surprendre le lecteur. Notons à ce propos la seule critique grave à opposer à ce récit : la chute finale tombe complètement à plat. En effet, si les héros de l'histoire comprennent seulement à la fin du livre le piège dans lequel les a introduits le mystère du temps bouclé, le lecteur normalement constitué est instruit de ce fait au moment même où les quatre membres de l'expédition rencontrent pour la première fois leurs lointains descendants. Mais peut-être était-ce le but recherché par l'auteur, dans l'intention de développer, au détriment de ses personnages, une complicité « producteur-consommateur » ? Auquel cas il aurait fallu, alors, qu'il explicite un peu plus cette intention.
     Mais Le dieu de lumière constitue, en résumé, une mise à jour très acceptable du Fleuve Noir 1973, et sa lecture permet deux heures attrayantes.
     Infection focale, malgré son titre peu plaisant, va, quant à lui, beaucoup plus loin. Implications politiques, économiques, sociologiques, s'y intègrent à un récit absolument captivant de bout en bout. Peut-être mes sympathies m'ont-elles fait voir dans ces lignes des implications que l'auteur n'y a nullement introduites en connaissance de cause, mais j'en doute. Encore cela ne ferait-il, à mon sens, rien à l'affaire. Ces préoccupations essentielles valent par leur mise en œuvre effective et le fait que celle-ci soit ou non volontaire ne change rien au résultat.
     Le docteur Alan, héros de ce roman (ainsi que des deux précédents de l'auteur), appartient au corps des membres itinérants du Conseil Supérieur du Centre Démographique basé sur Alpha, la planète siège de l'assemblée des cerveaux capables de décider scientifiquement et d'indiquer la conduite à tenir au gouvernement fédéral des Planètes Unies qui siège sur la Terre. Il vient d'accomplir une vérification de routine d'une planète nouvellement découverte, et donc que celle-ci peut s'ouvrir à la colonisation humaine. Lors d'une escale, il accepte de prendre à son bord une journaliste. Tous deux plongent dans le subespace en direction de la Terre... mais quelque chose se détraque dans le programmateur (événement apparemment impossible, mais la réalité est là) et ils émergent en un coin inconnu de la galaxie. Impossible de fournir au computeur de bord la moindre donnée de départ ; la seule solution consiste à se poser sur une planète.
     Mais cette nouvelle Terre est, elle, habitée. Captant des émissions radio, Alan peut apprendre la langue indigène et découvrir le point atteint par la technologie locale. En gros, il s'agit d'un état comparable à celui de notre propre civilisation des années 40 ou début 50. Cette civilisation technique n'appartient pourtant qu'à une seule des deux races « intelligentes » qui se partagent la surface des terres émergées. Les Ashabas techniciens occupent seulement une grande île et sont les descendants des occupants d'un astronef accidenté. Ils sont au stade de l'implantation réussie, mais encore peu nombreux. Race technicienne et guerrière, avec un ordre militaire sévère, cette société évoque certes l'hitlérisme des années 30 de notre Terre, mais aussi l'impérialisme de l'Amérique naissante. Comme les concitoyens de George Washington, en effet, les Ashabas ont entrepris de détruire la culture indigène. — Ils obtiennent de ses membres produits agricoles et matières premières — sans les payer, soit dit en passant, ou alors pour un salaire dérisoire, et un tel processus ne peut manquer de suggérer à l'esprit un certain état actuel des choses entre pays du tiers-monde et nations réputées « développées » — et, sur leur propre territoire, occupent les indigènes à des travaux qu'ils jugent indignes de leur caste de soldats — travailleurs immigrés actuellement en notre beau pays, vous vous reconnaîtrez bien vite dans ce tableau ! — en les parquant cependant dans des « camps » qui évoquent plus les bagnes nazis que les bidonvilles, mais la distance est-elle si longue entre les deux ? Comme les Américains, les Ashabas ont décidé de se couper de leur mère patrie, un Empire inconnu des humains et donc d'Alan. Enfin, ils sont gouvernés sur modèle autocratique par une « pharaonne », la « daoni », descendante de mutants — ses yeux sont bleus, contrairement à ceux de ses sujets.
     Les véritables indigènes, quant à eux, se nomment Yévis. Couverts d'un pelage bleu, ils sont constitués en tribus nomades et ignorent totalement la guerre et donc les arts martiaux. Une proie tentante et sans défense, apparemment, pour les entreprises impérialistes des Ashabas. En fait, il s'agit de télépathes puissants dotés d'une culture particulièrement excitante et pratiquant une hospitalité magnifique. Le docteur Alan est en mesure de l'apprécier dès la première nuit passée sur la planète dans les bras d'une autochtone, après un excellent repas. Au sein agréable d'une « yourte » confortable et par le biais de la télépathie, il découvre une union physique et mentale qui fait de l'amour, chez ces gens-là, une expérience absolument inouïe.
     Le lendemain, il découvre que les nomades l'ont abandonné. Aussitôt après, il est capturé par les militaires ashabas et remis aux mains d'un chef de la sécurité, véritable officier de la Gestapo, dont on découvre cependant, avec surprise, au fil des pages, que sa personnalité est complexe et finalement sympathique.
     Avec l'aide de cet homme, et grâce à la coopération des Yévis qui parviennent, grâce à leurs dons de télépathes, à modifier la psychologie des Ashabas, le docteur Alan et la jeune journaliste terrienne parviendront à supprimer l'entreprise d'impérialisme totalitaire en cours sur ce monde et à lui rendre l'innocence et le bonheur auquel il était destiné. Les Ashabas apprendront à faire l'amour au lieu de la guerre et un happy end nous permettra de bénéficier — hélas seulement en imagination, mais il n'empêche, il est bien agréable de rêver ! — d'un monde comme nous le souhaiterions, c'est-à-dire authentiquement et à la fois libertaire et communautaire.
     Comme on le voit à ce résumé qui ne rend en rien compte des agréments de lecture de cette belle histoire, des éléments complexes et extrêmement intéressants sont mis en jeu ici. Fait inhabituel dans cette collection jusqu'à ces derniers mois : les méchants ne sont nullement intégralement pervertis et peuvent se convertir. Nous sommes bien loin des affrontements guerriers chers à des auteurs militaristes et impérialistes habitués du Fleuve Noir et dont Pierre Barbet peut être désigné comme le chef de file.
     Il me faut, pour terminer, souligner un dernier aspect de ce roman, qui ne gâte rien, loin de là : c'est le soin qu'apporte l'auteur au travail rédactionnel. Descriptions bien enlevées, étude des comportements bien articulés, ce métier d'écrivain donne de l'épaisseur au récit et déclenche la sympathie du lecteur. Cet amour du métier bien fait se constate également de manière très arithmétique à la simple mensuration des proportions de l'ouvrage ; si le nombre de pages demeure le même dans Infection focale que dans les deux volumes précédents (les 235 pages du Fleuve Noir), !e choix de caractères nettement plus petits fait qu'on nous offre !à au minimum 20 % de lecture en plus que dans le roman de Maurice Limât, et en outre de la lecture passionnante.
     Jan de Fast est un des meilleurs pensionnaire du Fleuve Noir actuel. Il sera, n'en doutons pas, l'objet dans je futur de la même réhabilitation que j'avais plaisir à saluer naguère à propos de Stefan Wul.

Denis PHILIPPE
Première parution : 1/5/1973 dans Fiction 233
Mise en ligne le : 7/1/2018

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