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Le Livre des Fantômes suivi de Saint-Judas-de-la-Nuit

Jean RAY



MARABOUT - GÉRARD (Verviers, Belgique), coll. Bibliothèque Marabout - Géant n° G247
Dépôt légal : 1966
Réédition
Anthologie, 318 pages, catégorie / prix : 1*
ISBN : néant
Format : 11,4 x 18,0 cm
Genre : Fantastique



Quatrième de couverture
     « Les histoires de fantômes, qu'on imagine avoir inventées d'un bout à l'autre, peuvent enclore une réalité, et ceux qui les écrivent être en quelque sorte des chargés de mission d'un monde caché qui essaye de se révéler à nous...
     ...Car tout finit par être vrai... »
     Jean Ray
Sommaire
Afficher les différentes éditions des textes
1 - En manière de préface, pages 7 à 9, préface
2 - Mon fantôme à moi, pages 11 à 20, nouvelle
3 - Maison à vendre, pages 21 à 39, nouvelle
4 - La Choucroute, pages 41 à 53, nouvelle
5 - M. Wohlmut et Franz Benschneider, pages 55 à 69, nouvelle
6 - La Nuit de Pentonville, pages 71 à 88, nouvelle
7 - L'Histoire de Marshall Grove, pages 89 à 122, nouvelle
8 - La Vérité sur l'oncle Timotheus, pages 123 à 137, nouvelle
9 - Ronde de nuit à Koenigstein, pages 139 à 157, nouvelle
10 - Le Cousin Passeroux, pages 159 à 182, nouvelle
11 - Rues, pages 183 à 196, nouvelle
12 - Après, pages 197 à 199, postface
13 - Saint-Judas-de-la-nuit, pages 203 à 314, roman
Critiques

    Le livre des fantômes est le dernier recueil librement conçu par Jean Ray. Si l'on excepte Les contes noirs du golf, fruit de la commande, les volumes parus depuis se bornent à rassembler des contes publiés en revue au cours des années. Ils manquent par là de cette unité interne, de cette harmonie voulue par l'auteur, de l'unité de ton et de conception dont le présent recueil est le dernier exemple.

    Tous les contes, ou presque, affirment la primauté de l'homme qui sait, alliant en lui le courage physique aux connaissances. À celui-là, tout est possible. Il peut à son gré, par le truchement du grimoire Stein, imposer sa volonté dans l'au-delà, arracher les morts à leur repos et leur infliger, de son propre chef, les peines infernales, usurpant ainsi, et sans risque, les prérogatives divines (Maison à vendre). D'autres forcent les cloisons qui séparent ce monde d'un autre, l'hyperespace intelligible aux seuls mathématiciens et où se dissimulent d'étonnantes possibilités (M. Wohimut, La choucroute). Le jeune Dick Forceville, médecin sorti de prison, sait que la Mort est une entité, un être réel, qu'il saisira à la gorge une nuit de veille ; dès lors, il participe à sa nature, il passera les siècles, verra crouler les civilisations ; puis, un jour, il sera là quand le règne des dieux sera fini, et qu'il conviendra de les anéantir à leur tour (La vérité sur l'oncle Thimotéus). Sans hausser le ton, Jean Ray pousse Ici l'audace bien plus loin que les philosophes et les auteurs « sérieux ». L'homme n'est pas seulement l'égal des dieux ; non content de ne pas trembler devant eux, c'est lui qui les anéantira, pour installer en son empire la seule omnipotence : la Mort.

    Certains critiques veulent que le fantastique soit le domaine de l'homme en proie à la peur, de l'homme écrasé, humilié, annihilé, traqué, broyé, dès qu'il se trouve confronté avec des puissances imprécisées. Pour Kingley Amis, le fantastique c'est « l'image d'un visage piétiné par une botte ». Ceux-là ne lurent jamais Jean Ray.

    Non que ses personnages soient toujours vainqueurs. Il en est de pitoyables et d'écrasés, dont le destin emplit Le cousin Passeroux et L'histoire de Marshall Grove. Mais au départ ils étaient déjà vaincus, petits bourgeois, besogneux aux âmes sans cadence et sans audace, flottant au gré des événements, et Incapables de les maîtriser.

    Quant à La nuit de Pentonville, la publication des Harry Dickson lui donne un relief particulier, en permettant les comparaisons. Les Harry Dickson sont dignes de la plume de Jean Ray, mais combien de récits fantastiques ne s'y dissimulent pas, étranglés, sacrifiés aux obligations de l'édition « commerciale ». Dans Les spectres bourreaux, on voit passer la légende des morts venus tirer vengeance. Mais ce qui n'était qu'adroite mascarade devient ici réalité, et punition terrible infligée aux gardiens de cette prison dont les spectres prennent possession.

    Des confidences semi-sincères encadrent ces contes. Jean Ray y parle de lui, des siens, de son expérience du fantastique, mais sans se livrer. À moins qu'avec L'homme au foulard rouge, il ne nous confie ce qu'il sait de son propre fantôme, est homme au foulard rouge, aux apparitions rares et erratiques, ni bénéfiques ni maléfiques, et qui font penser à ce double qu'apercevait Alfred de Musset. 

    Dans Rues, il disserte sur ces lieux inquiets où se devine le visage d'une autre réalité, et conte comment, étant étudiant, il pénétra dans une pâtisserie qui n'existait pas. Ce fait, il l'a rapporté toute sa vie, avec force détails, la rue existe toujours et garde une atmosphère un peu hagarde, fort bien rendue dans le roman de Roger d'Exsloyl, Le mystère de la rue du Calvaire : image figée de maisons patriciennes grises (…) Il semble qu'un esprit démoniaque ait suspendu la vie de cette rue et que des bourgeois angoissés se barricadent encore derrière ces volets baissés… 

    Les sceptiques assurent que Jean Ray, abusé par cette heure entre chien et loup, se trompa tout bonnement de rue et que, trop content de ne pas retrouver sa pâtisserie, il ne poussa pas plus avant ses recherches. Je le crois, mais, sur le plan littéraire, il importe peu. Car ce récit que Jean Ray colportait donna naissance à des œuvres originales : le roman de d'Exsteyl, puis, dans le domaine fantastique, et avant Le livre des fantômes, Iblis ou la rencontre avec le mauvais ange d'Alice Sauton, auteur dont Jean Ray tint certainement la plume :

    Iblis, né d'un des quatre éléments, échappait à la précision du catalogue démonologique. Ni ange, ni démon, entité redoutable pourtant, il hantait les songes des visionnaires qui lui voyaient une aile blanche et radieuse comme la neige des hautes cimes et une autre noire comme la profondeur des gouffres.

    Iblis que Jean Ray dut renvoyer au néant, et dont la présence emplissait Saint Judas de la Nuit. Ce n'est pas propos en l'air que j'avance. Des religieux de l'entourage de Jean Ray, émus de ses audaces, firent tant qu'il modifie son texte et l'esprit de son développement. Que l'on compare les textes de Saint Judas et le Prologue paru dans les Cahiers de la Biloque, et apparaissent de lourdes et significatives coupures.

    Il est temps, mon abbé, de réhabiliter Judas. Cette carte du général de Gallifet à l'abbé Munier fut le point de départ initial. Le Judas de l'écriture fascinait Jean Ray. Il professait que cette trahison, nécessaire de toute éternité, Judas l'avait acceptée avec humilité, comme son propre calvaire. Et que dès lors il convenait de le louer et non plus le honnir.

    On comprend que certains se soient effrayés. Aussi, cette œuvre, dernier récit de longue haleine signé Jean Ray, il ne l'abandonna à l'éditeur que contraint et forcé, avec le remords de laisser publier une œuvre imparfaite, ou, pis encore, mutilée.

    Ioakimidis a fort bien dit l'impression d'inachevé, de lever de rideau que donne cette lecture (voir Fiction 128). L'auteur place ses personnages sur l'échiquier, mais le jeu attendu ne se développe pas, et le secret dévoilé dans les dernières pages ne s'accorde pas avec le mystère et la grandeur des premières. C'est tout à fait exact, et la raison en est que l'auteur renonça, pour des raisons qu'il ne nous appartient pas de percer, à son projet, initial.

    Mais il nous est quand même possible de deviner quelque peu ce qu'il aurait dû être. Quand (page 253) le Jeune Pierre-Judas découvre le signe qu'il porte au front, là où se posèrent les lèvres d'un être terrible, il voit bien qu'il est en forme de ramure, mais il manque la réflexion d'Hilda ; L'arbre où il se tenait quand… 

    Et surtout, le texte fut amputé du long développement concernant Iblis :

    Et Iblis, l'esprit glorieux mais déchu, qui aimait Jésus et fut aimé de Lui, qui avait une aile blanche comme le jour et l'autre noire comme la nuit, Iblis qui ne pouvait faire le mal ni le bien, Iblis regarda la terre. 

    Et il se sentit le frère des hommes qui, comme lui, avaient perdu le ciel. 

    Et il voulut prendra part à leurs joies comme à leurs peines et les aider à porter leurs fardeaux, mais ceux qui vivaient dans la loi du plérome inventèrent des exorcismes qui le repoussaient, et ceux qui croyaient en lui essayèrent do l'asservir. 

    Ceci pouvait encore ne pas trop choquer. Mais que dire de cette affirmation : Le baiser de feu a éteint la Voix, de crainte qu'elle ne montât vers le Grand Rivage et ne réveillât le Dieu endormi sur ses injustices et ses erreurs. 

    Tout le roman devait être centré sur ces êtres ambigus, participant du ciel et de l'enter, ou étrangers aux deux, analogues au Grand Nocturne, au Magutt de Ronde de nuit, à Iblis. 

    Ce roman, nous ne le lirons jamais. Un jour Jean Ray, lassé, accepta de mutiler son récit. Mais, dès lors, il devait s'en déprendre, et il le poussa vaille que vaille vers un fantôme de dénouement, où revenait le grimoire Stein qui permet d'enchaîner les morts, tout en semant au passage de petits tableautins qui restent ce qu'il y a de mieux dans ce roman étranglé. 

Jacques VAN HERP
Première parution : 1/12/1966 dans Fiction 157
Mise en ligne le : 26/12/2022

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