[Critiques des livres suivants :
- Cimetière de l'effroi de Donald Wandrei, Fleuve noir Angoisse n° 1
- L'heure funèbre de Patrcik Svenn, Fleuve noir Angoisse n° 2
- Territoire robot de Jean-Gaston Vandel, Fleuve noir Anticipation n° 43
- À la poursuite des Slans d'A.E. Van Vogt, Hachette Rayon fantastique n° 30
- Le Lendemain de la machine de F.G. Rayer, Hachette Rayon fantastique n° 28]
Affublé d’un titre français grand-guignolesque et présenté sous une jaquette conçue dans le même esprit (mort en suaire, chauve-souris, arbres dénudés, croix branlantes), voici un roman anglais de qualité que nous n’hésitons pas à recommander à tous les amateurs de bizarre et de fantastique. Il s’agit de « Cimetière de l’effroi » (The web of Easter Island), de Donald Wandrei, qui, dédié à H. P. Lovecraft, inaugure de la façon la plus prometteuse la nouvelle collection du Fleuve Noir « Angoisse ». Nous ignorons si le dédicataire a eu l’occasion de le lire. Si c’est le cas, gageons qu’il en a été ravi, car l’ouvrage est dans la plus pure tradition lovecraftienne. Roman de démonologie, « Cimetière de l’effroi » commence par la découverte, dans un cimetière abandonné des Iles Britanniques, d’une petite pierre qui détruit tous ceux qui la touchent. Informé de l’incident, Carter Graham, conservateur d’un musée voisin, reprend les fouilles à son compte. Et ce qu’il trouve, après avoir de peu échappé à la mort, est plus stupéfiant, encore : un puits recouvert d’une dalle et rempli d’ossements appartenant à des hommes ayant vécu il y a des centaines de millénaires. Est-ce là l’entrée du monde des Titans qui avaient créé la terre ? Décidé à résoudre le problème, Graham se rend dans l’île de Pâques où, selon lui, réside la solution, et constate que ses suppositions étaient bien au-dessous de la vérité : il émerge soudain dans des temps fort éloignés des nôtres, sur un globe complètement transformé. Détenteur du « grand mystère », il pourra échapper au cataclysme menaçant ; mais le voudra-t-il ? en aura-t-il le courage moral ? Comme une œuvre de Lovecraft, celle-là se résume mal. Son intérêt réside d’ailleurs autant dans le détail que dans l’idée de base de l’auteur. Un conseil : lisez-la et vous ne serez pas déçus.
Le deuxième volume de la même collection, « L’heure funèbre », de Patrick Svenn, s’adresse à un public moins difficile. L’action se déroule à Paris où un professeur (à moitié fou, comme il se doit) expérimente un mystérieux rayon destiné à transformer les gens en… (gardons-nous bien de vous le dire, cela équivaudrait à révéler l’identité du criminel dans un roman policier). Aucun ingrédient ne manque à ce cocktail de terreur : jeune fille pure et innocente, son fiancé – assistant du professeur – sinistre Africaine, collaboratrice du même, etc.
Honnêtement écrit, le roman se lit sans ennui et contient quelques bonnes pages d’horreur. La fin nous a néanmoins laissé sur une impression pénible : le « happy ending » n’est-il pas de rigueur dans ce genre d’entreprise ?
Au Fleuve Noir également, mais dans la collection « Anticipation », le meilleur roman de Jean-Gaston Vandel que nous ayons lu à ce jour : « Territoire robot ». Nous sommes dans un monde où l’homme se sert de Mogs – robots perfectionnés. Un millionnaire, Manders, décide de tenter une expérience : envoyer des robots sur Mercure, planète inhabitée car inhabitable, pour voir son comportement d’une part et, d’autre part, dans des buts plus ou moins avouables. Les Mogs s’organisent, mais lorsqu’ils signalent à leur maître que ses instructions ont été appliquées, ils ne reçoivent pas de réponse : l’expédition a péri. Abandonnés à eux-mêmes, comment les robots vont-ils se comporter ? À partir de ce moment, l’auteur fait preuve non seulement d’imagination, mais aussi d’un sens aigu de la psychologie, si l’on peut employer ce mot en parlant de créatures mécaniques. Plus d’une fois, ce roman nous a fait songer à un pastiche, et pourtant Vandel demeure constamment logique, souvent jusqu’à l’absurde. Un excellent ouvrage que nous avons lu avec infiniment de plaisir.
Chez Hachette, le troisième A. Van Vogt à paraître en France : « À la poursuite des Slans » (Slan), est l’un des meilleurs de la collection « Le Rayon Fantastique ». Nous sommes en l’an 3500 ou 4000. Un dictateur, Kier Gray, règne sur le monde et l’humanité fait une chasse sans merci aux Slans, espèces de mutants qui portent le nom de leur créateur, le professeur F. Slann. Ils se distinguent des hommes par un double cœur et par deux petites cornes qui leur permettent de lire dans les pensées. La plupart des Slans ont été détruits (car on les soupçonne des pires monstruosités), mais il en reste quelques-uns et c’est l’histoire de l’un d’eux, Jommy Cross, dépositaire des secrets de son père, que Van Vogt nous raconte avec le grand talent qu’on lui connaît. Écrit avant 1940, le roman n’en est pas moins d’une étonnante actualité, car cette poursuite des Slans est, en fait, une véritable « chasse aux sorcières ». Vau Vogt fait aussi intervenir une troisième catégorie d’individus, des Slans sans cornes, qui veulent réduire en esclavage à la fois les hommes et les Slans cornus. L’ouvrage fourmille d’allusions et d’observations tant politiques que sociales ; malgré ses quatorze ans, il n’a pas pris une ride. Chaleureusement recommandé.
Également chez Hachette, dans la même collection, un bon S.-F. anglais : « Le lendemain de la machine » (Tomorrow Sometimes comes), de F. G. Rayer qui, après un démarrage plutôt lent, s’anime, prend de la stature et finit en beauté. Son héros, le major Rawson, a provoqué une guerre atomique qui a décimé le monde. Lui-même, enfoui sous les décombres de l’hôpital où on l’opérait, se réveille un siècle plus tard. La Terre est alors habitée par : 1° des hommes qui maudissent son nom ; 2° des mutants, espèces de singes humanoïdes télépathes qui, au contraire, bénissent la mémoire de leur involontaire créateur. Arrivé dans la nouvelle capitale, Kaput-des-Orbes, Rawson est obligé de se présenter devant un cerveau mécanique géant qui règne sur la Terre, la « Mens Magna ». Celle-ci, ayant découvert à qui elle a affaire, décide de faire de Rawson l’exécutant d’un des deux plans qu’elle, a élaborés. L’humanité sera-t-elle sauvée ? Sera-t-elle, au contraire, condamnée à mourir ? Les chapitres où Rawson converse avec la monstrueuse machine sont parmi les plus passionnants que nous ayons lus depuis qu’existe l’A.S. et l’atmosphère de certains autres est hallucinante. Comme dans « À la poursuite des Slans », la vraie question est : à moins que l’humanité n’évolue – et ceci à tous les points de vue – doit-elle disparaître ? Malgré son début, voilà un roman qui vous intéressera. Et la chute de la fin, bien que prévisible, est poignante dans sa grandeur austère.