Le film commence très simplement ; une pièce connue, tout d'abord, pour donner un sentiment de sécurité, avec cependant une température favorable au frisson pour aiguillonner l'imagination. Ensuite, niché au sein de l'éclairage tamisé, un canapé, le canapé dont l'homme au livre est pratiquement exclu par l'inévitable chien-fauteuil. Enfin, dans le silence peuplé d'une main qui cherche en aveugle un amuse-gueule, ou d'une gueule qui s'amuse à achever un sucre, un roman, l'objet de cette mise en scène.
Aujourd'hui, c'est Les Tueurs de Temps qui donnent un tour de chant, dans une réédition Presses Pocket pour laquelle Gérard Klein a mué de Gilles d'Argyre. L'action continue, main d'acier au gant de velours ; le lecteur laisse peu entrevoir, par son immobilité proche de la stase, toutes les victoires, toutes les défaites, les tilts et les super-bonus d'un Varum Shangrin rivé au flipper de la galaxie. Varun est perdu dans le temps, dans l'espace, mais avec l'incroyable, l'irréelle confiance en soi qui fait le héros, il saura déjouer les gambits d'une partie d'échec dont l'ampleur rappelle la destinée de L'Orphelin de Perdide de Stéphan Wul. C'est le générique, la foule se lève. Les cinéphiles pestent devant la scène qu'on leur occulte, mais se retrouvent bientôt seuls dans la salle. Sur l'écran, le lecteur qui avait refermé l'ouvrage, réflexe imposé par la vue du mot « fin », l'ouvre à nouveau pour s'intéresser à la postface. Et là, c'est la découverte : iI n'avait vu qu'un roman d'aventure bien écrit, peu propice aux réflexions philosophiques ; mais Gérard Klein identifie pour lui Varun Shangrin à Moïse, le guide d'un peuple qui amène ses enfants à la liberté, pour faire de Les Tueurs de Temps le roman du « Père », en opposition à Le Sceptre du Hasard qui serait le roman de la « Mère ».
Ah bon ! pense-t-il en refermant définitivement le livre, et il se dit au fond de lui-même, reprenant le symbolisme cher à la psychanalyse, que Gérard Klein a fait de Varun Shangrin un géant roux pour mieux montrer le Soleil, et profite de la postface pour faire entrevoir la Lune...