Dehors-Dedans, un dieu tombé sur Terre sous la forme d'un disque d'argent de la taille d'une pièce de monnaie.
Trop vaste pour tenir dans un seul esprit humain. Et menacé de mourir.
Pour rejoindre son univers et échapper à l'agonie, il a besoin de quatre êtres humains. Dirk, un jeune voyou de Hawaï. Reena, schizophrène enfermée dans un asile d'Avignon. Tiang, paysan chinois épuisé par l'âge et les malheurs. Howard, un américain moyen, chômeur et joueur.
Quatre héros de notre temps, à qui Dehors-Dedans, en échange de leur aide, peut apporter la sérénité et la fortune.
Un être venu d'un autre espace tombe et se fait piéger sur la Terre. Son apparence : un cercle de métal pas plus gros qu'une pièce de dix cents. Pour regagner ses sphères, il doit obtenir l'aide de quatre humains, venus des quatre coins de la planète. Un sujet qui tiendrait dans un mouchoir de poche ? Certes. Et ce n'est pas lui qui compte dans L'arc du rêve, mais bien la façon dont il est exploité, étiré, distordu, broyé, de telle sorte qu'à la sortie de ce roman, le lecteur, perplexe a véritablement eu l'impression d'avoir fait un voyage dans un autre monde... On se souvient que Radix, du même auteur (cet énorme pavé) avait été l'occasion d'une expérience étonnante adaptés à une saga gigantesque, la forme bouillonnante du récit, ses créations stylistiques et son découpage heurté restaient dans la norme — si l'on peut dire. Mais au service d'un « petit » roman qui aurait pu faire l'objet d'un tout petit Fleuve Noir d'un auteur de troisième zone, le système Attanasio (inchangé) fonctionne-t-il ? Mais oui. Bien sûr il faut pénétrer dans l'histoire en jouant des coudes les vingt ou trente premières pages (de la SF à dégoûter ceux qui n'aiment pas la SF, et peut être même certain de ceux qui l'aiment), où il faut se taper de trop nombreuses phrases de ce genre : « Son aperception s'étendait au champ photonique et suivait les courbes inertielles de l'univers, sensible au grouillement des points et à toutes leurs connexions. » (p.14)
A vos souhaits Cette « science-fiction pour faire science-fiction » est évidemment un des rouages de la machine Attanasio, de son système, pour nous communiquer l'inconnaissable, fût-ce en nous étourdissant. Comment faire partager au lecteur l'appréhension d'un univers vraiment autre, que les héros de l'histoire n'atteindront jamais (ou, pour ce qui est un seul cas, après la fin du récit, donc dans l'indicible) ? En le noyant sous les mots, quitte à corriger le tir en bout de course et avouer : « Cela semble incroyable, mais c'est vrai. C'est un endroit réel, sans autre signification que la sienne propre. » (p.197) Mais cette noyade perpétuelle passe par de fulgurantes trouvailles, qui vont du (pas) simple effet de style (« C'était le cœur du temps aux pétales de radium... » p.158), à un humour au second degré, rarissime mais toujours bien en situation, comme lorsqu'une des projections fantasmatiques de la créature (elle s'appelle Dedans-dehors) décrit ainsi un des monstres qui l'accompagnent : « C'est un collage des mauvais démons de l'histoire humaine : dragons, lutins, puphes, reines des marais, séraphim, revenants. » (p.150)
Ainsi, de fulgurances en fulgurances et d'émerveillements en irritations, on avance dans un récit qui, loin de n'être qu'une monotone suite d'obscures mais statiques beautés, est tout au contraire traité avec la rapidité et le sens du suspense d'un thriller, d'un roman noir. Du thriller, L'arc du rêve possède les péripéties (les messagers de Dedans-dehors se rejoindront-ils à temps, avant que l'ET n'explose avec la puissance d'une bombe nucléaire ? Triompheront-ils des monstres que la créature traîne dans ses basques ? Echapperont-ils aux truands, flics et autres mauvais humains qui les traquent ?). Du roman noir, il possède les personnages emblématiques : Dirk (la « parole » de Dedans-dehors), un petit délinquant échappé de son centre de redressement ; Howard, un joueur qui semble venu tout droit de chez David Goodis ; Tiang, un vieux Chinois que la Révolution Culturelle a réduit à la clochardisation ; Reena enfin, jeune française de 23 ans au cerveau irrémédiablement endommagé. Doués de télépathie (Reena), de « sapience » (Dirk), de prescience (Howard) et de la « force » (Tiang), le quatuor devient une sorte d'entité collective rappelant Les plus qu'humains de Sturgeon. Et c'est cette unité contre nature, dont le fruit est une course désespérée vers un but irréductible à des normes humaines, qui donne sa chair au roman, sa saveur âpre, mais aussi sa philosophie — « l'affirmation primitive de l'unicité au-delà de la pensée », le « oui-hors de-soi », le Nonchaloir (p.195). Tous néologismes qui signifient plus simplement la fraternité, au delà du temps, de l'espace, des espèces (la sympathie de l'auteur pour les dauphins étant là pour mettre les points sur les i).
Présentant jadis son film 2001, Kubrick avait parle « d'expérience non-verbale ». Il serait tentant de dire qu'Attanasio est un auteur dont les œuvres sont sur-verbales : un bombardement, dont il vous reste quelque chose de fort une fois qu'il a cessé, qu'on a refermé les livres. Qu'il ait réussi cela avec un sujet qui aurait pu être traité par Vargo Statten (et dont la logique n'est de toute façon pas le point fort — mais qu'importe), le hisse et le maintient à la toute première place des écrivains américains de la décennie.