An 2300. Verity Auger est une archéologue spécialisée dans l'exploration de la Terre, devenue inhabitable après une catastrophe technologique baptisée Nanocauste. Elle accepte une mission sur Phobos, un satellite de Mars, où un tunnel secret l'envoie dans une station de métro, à Paris, en 1959 ! Son objectif consiste à récupérer les documents laissés par un agent assassiné avant qu'ils ne tombent entre des mains ennemies. Mais la Terre semble avoir été préservée dans un bloc d'ambre, comme un gigantesque insecte. S'agit-il là d'une fenêtre vers le passé, d'une simulation, ou de quelque chose de totalement différent ? Les documents que Verity doit retrouver sont bel et bien la clé de ce mystère...
« La Pluie du Siècle est sans doute le roman le plus abordable pour découvrir cet auteur majeur de la SF et ses principales qualités : imagination, rythme et intelligence. »
1 - Remerciements et suggestions de lectures (2004), pages 861 à 863, notes, trad. Dominique HAAS
Critiques
Uchronie ou space opera ? De toute évidence, pour ce premier roman hors-cycle des « Inhibiteurs », Alastair Reynolds avait envie de parler autant d’un Paris des années 50 qui n’a jamais existé que d’un démentiel et incompréhensible projet d’ingénierie extra- terrestre : il a donc fait les deux, et engendré un roman hybride auquel on peut coller chacune des deux étiquettes sus-citées, voire lui en adjoindre quelques-unes de plus, tout en lui assignant un titre énigmatique.
Force est de constater à la lecture que les deux dimensions de La Pluie du siècle se répondent avec une efficacité certaine. D’un côté le réa- lisme poétique de l’intrigue uchro-parisienne, à l’ambiance interlope, où il est question d’une enquête menée par un détective privé américain nommé Floyd ; de l’autre une énigme extraterrestre, sous la forme d’objets massifs reliés par un réseau de trous de ver… à l’intérieur desquels se nichent peut-être des versions alternatives de la Terre. D’une part l’illusion d’une vie normale – les habitants de la Terre où vit Floyd n’ont pas conscience d’être encapsulés dans une sphère artificielle… et encore moins d’être des copies ayant divergé de leurs originaux morts depuis des siècles –, d’autre part la vie quotidienne que peuvent mener des êtres humains du xxive siècle dans un contexte où la vraie Terre est devenue hostile suite à un désastre nanotechnologique.
Auger, archéologue reconnue pour sa connaissance du Paris pré-cataclysme, va servir de trait d’union entre ces deux pans de l’intrigue : il se trouve qu’au moins une faction humaine a découvert une façon de s’introduire à l’intérieur de la copie altérée où vit Floyd… et qu’une série d’événements préoccupants va nécessiter d’envoyer la scientifique de l’autre côté du trou de ver. Une enquête digne d’un roman « noir » à laquelle répond un conflit interstellaire promettant de redéfinir, une bonne fois pour toutes, le rapport de l’être humain à sa mémoire collective, il fallait y penser mais aussi l’oser : La Pluie du siècle devra donc s’entendre comme un excellent témoin de l’ambition littéraire de son auteur. Le reste, ce sont des thèmes et des arguments typiques de chaque genre abordé ici : citation historique (on croisera dans ce Paris alternatif un certain dictateur allemand captif et réduit à la décrépitude) ; conflictualité entre factions humaines ou post-humaines ; truculence et niveaux de gris des protagonistes de l’enquête ; enjeux globaux plus vastes que la somme des intérêts individuels. À ce schéma l’auteur n’oublie pas d’ajouter quelques idées originales, en forme de fausses pistes qui ne le sont pas toujours, à commencer par l’existence d’un virus rendant une bonne partie des êtres humains du xxive siècle (dont Auger) insensibles à la musique – alors que Floyd est avant tout un musicien de jazz.
Nul ne contestera la saveur des ingrédients ras-semblés pour construire La Pluie du siècle : comme il nous le signale dans sa postface, l’auteur a pris soin de se baser sur une documentation aussi pluridisciplinaire que possible – ce qui se sent d’ailleurs à la lecture — et leur inté- gration est aussi minutieuse que voulu. L’association hybride avait toutefois ses risques intrinsèques, et LaPluie du siècle ne parvient – ou ne veut – pas échapper à certains d’entre eux. Le premier bien sûr n’est autre que la nécessité d’un temps d’exposition doublé, qu’une astucieuse alternance des points de vue entre Floyd et Auger ne parvient pas tout à fait à limiter : le texte pâtit donc d’un début assez lent. Le second sera lié à la nécessité de faire coopérer l’archéologue et le détective pour tirer toute l’affaire au clair : la convergence cosmique entre eux se double peu à peu d’une attirance bizarroïde sans réelle justification interne, et se conclut de la façon que le lecteur studieux aura devinée compte tenu des concepts sur lesquels repose le livre.
Non létaux, ces défauts ne remettent pas en question l’intérêt de l’œuvre à tous points de vue : La Pluie du siècleest un bon Reynolds, et un bon roman de SF.
La Terre n'est plus qu'un champ de ruine inhabitable depuis le « Nanoclysme », une catastrophe technologique. Réfugiée dans l'espace, une partie de l'Humanité tente de sauver ce qui peut l'être du passé, à l'instar de Verity Auger, une archéologue spécialiste de Paris. À l'opposé de ces nostalgiques, une autre faction humaine, les Slashers, a choisi de profiter pleinement de toutes les possibilités de la nanotechnologie. Grâce à leur avance scientifique, les Slashers ont découvert une réplique de la Terre, protégée dans une sorte de cocon, qui semble être restée bloquée dans des années 50 légèrement uchroniques.
Sur cette « Terre 2 », Floyd, jazzman américain exerçant la profession de détective privé à Paris, enquête sur la mort d'une jeune femme. Suicide ou meurtre ? Envoyée en mission de renseignement, Verity Auger arrive dans le monde de Floyd. L'archéologue ne peut pas révéler au détective d'où elle vient, mais elle a besoin de lui pour découvrir ce que trament les Slashers, d'autant qu'au dehors, une guerre pourrait éclater entre les deux factions. Ensemble, ils vont mettre à jour un complot d'envergure galactique : et si le Nanoclysme qui a dévasté le berceau de l'humanité menaçait maintenant la Terre 2 ?
Les fans d'Alastair Reynolds et de son Cycle des Inhibiteurs retrouveront avec plaisir les qualités de cet auteur qui marie avec brio space opera et hard science : imagination débridée mais toujours assise sur de sérieuses bases scientifiques, fascination pour les post-humains (les Slashers de La pluie du siècle sont de lointains cousins des Conjoineurs du Cycle des Inhibiteurs), aventures rythmées et bien construites, sens du suspens et goût pour les retournements de situation... On est en terrain connu, à tel point qu'on retrouve aussi les petits défauts déjà présents dans les précédents romans de Reynolds : abus flagrant de la technique du cliffhanger, psychologie assez minimaliste des personnages (quoique, sur ce dernier point, l'auteur semble faire de véritables efforts par rapport à ses premiers textes : Floyd et Auger sont de vrais personnages, crédibles et attachants malgré quelques côtés fleur bleue, et les personnages secondaires bénéficient aussi d'un traitement honorable). En même temps, on est surpris de le découvrir tout à fait à son aise avec l'autre composante de ce roman, l'uchronie. Le Paris des années 50 qu'il a bâti est crédible et vivant. Reynolds réussit à mêler de façon subtile des clichés, comme les détectives sans le sous ou les boîtes de jazz germanopratines, avec des éléments plus étranges et dérangeants, telle cette France qui, parce qu'elle a échappé à la seconde guerre mondiale, s'enfonce lentement mais sûrement dans un fascisme mou.
Les inconditionnels de Reynolds seront peut-être un peu déçus avec ce nouveau roman, cependant : La pluie du siècle paraît en effet nettement moins ambitieux dans son intrigue et moins original dans son univers que la grande fresque du Cycle des Inhibiteurs. Mais le plaisir de lecture, lui, reste au même niveau.
Ceux qui, à l'inverse, ont été découragés par la longueur et la complexité du Cycle des Inhibiteurs pourront se réconcilier avec Reynolds grâce à La pluie du siècle. Ce roman est en effet beaucoup plus accessible : un futur proche, plus facile à concevoir que l'humanité éclatée par des distances titanesques et les mentalités radicales des Ultras ou des Conjoineurs ; un conflit relativement simple et resserré dans le temps ; même les explications scientifiques sur lesquelles reposent la révélation finale sont plus abordables pour le commun des mortels que les élucubrations astrophysiques qui concluent L'espace de la révélation ou Le gouffre de l'Absolution ! Ce roman montre de façon claire les principales qualités de Reynolds : celles d'un écrivain qui se plaît à raconter des histoires captivantes en utilisant de façon intelligente et ludique toutes les possibilités que lui offrent une imagination fertile associée à une solide culture scientifique.
La pluie du siècle n'est donc pas le roman le plus impressionnant d'Alastair Reynolds, mais il est sans doute le plus abordable pour découvrir cet auteur majeur de la SF et ses principales qualités : imagination, rythme et intelligence.
Dans ce nouveau gros roman, Alastair Reynolds rompt avec le cycle des « Inhibiteurs » qui l'a révélé. La Pluie du siècle offre à la découverte un nouvel univers qui s'annonce tout aussi complexe.
En 2300, à la suite d'une catastrophe nanotechnologique, toute vie sur Terre est devenue impossible. Les survivants issus des communautés qui étaient établies en orbite se sont scindés en deux peuples distincts : les Threshers, dont fait partie Verity Auger, qui sont partisans d'un usage aussi modéré que possible de la technologie afin d'éviter une nouvelle catastrophe comparable au « nanocauste », et les Slashers, qui, le mal étant fait, ne voient nulle raison de ne pas poursuivre sur la voie du progrès. Eux-mêmes sont divisés entre des modérés alliés aux Threshers et des jusqu'au-boutistes qui n'ont aucune envie de s'encombrer de ceux qu'ils considèrent comme une bande d'arriérés.
Les Slashers ont découvert l'hyperweb, un réseau de transport interstellaire dont ils ne sont pas les créateurs mais qui ne leur en a pas moins ouvert les portes de la galaxie. Ce réseau conduit entre autres à des OVA (objets volumineux anormaux) qui contiennent des planètes à l'intérieur d'une coquille. Sur Phobos, un portail de l'hyperweb mène sur une Terre uchronique où la Seconde guerre mondiale n'a pas eu lieu, une Terre enclavée à l'intérieur d'un OVA. A la suite d'un accident survenu lors de fouilles sur la Terre d'origine, des pressions sont exercées sur Verity Auger pour qu'elle accepte de se rendre sur la Terre alternative afin de récupérer de précieux documents que sa consœur, Susan White, se proposait d'exfiltrer. Dans le même temps, en 1959, dans un Paris en proie à la montée du fascisme, Wendell Floyd, un détective privé américain installé en France et jazzman à ses heures, tout comme son associé, Custine, ex-flic qui n'est plus en odeur de sainteté auprès de la Grande Maison, se voit proposé d'enquêter sur la mort suspecte de Susan White par Monsieur Blanchard, propriétaire de l'immeuble où logeait la victime et dépositaire des documents qu'Auger est censée récupérer. Enquête qui s'annonce pour le moins complexe, difficile et peut-être même vaine. Tout n'est cependant pas clair dans cette affaire. Il apparaît bientôt que Susan White était très probablement une espionne, mais à la solde de qui ? Du futur ? Ce n'est pas vraiment la toute première chose qui vienne à l'esprit. Il y a aussi de très étranges enfants extrêmement dangereux qui rodent à proximité de l'appartement de Susan White, où l'on trouve un poste de radio trafiqué et d'où une machine de cryptage Enigma a suivi l'occupante des lieu lors de sa défenestration. Cependant, les enfants, même lorsqu'ils puent la mort comme des cadavres frais de trois mois, arrivent rarement en tête de la liste des suspects d'homicide, surtout en 59... Et puis, Verity Auger ne semble guère crédible en Américaine sœur de White et originaire d'une petite ville du Dakota dont personne n'a jamais entendu parler, surtout aux yeux d'un compatriote, fût-il Texan. Il y a aussi ces allers-retours dans le métro, à la station Cardinal Lemoine, avec des valises pleines qui reviennent vides en quelques minutes... Et Blanchard, qui passe à son tour par la fenêtre. Custine étant suspecté par la frange fascisante de la police, Floyd se trouve tenu d'aller au bout de l'enquête pour innocenter son ami, même si le commanditaire est désormais décédé.
A peu près au milieu du roman, ces deux lignes narratives finiront par se rejoindre — et pas uniquement pour que Floyd et Verity puissent tomber amoureux l'un de l'autre. L'histoire va dès lors évoluer vers le space opera, avec batailles d'astronefs, armes de destruction absolue et tout le saint frusquin... Tant est si bien que Floyd se retrouvera à jouer du pistolet sur la tour Eiffel en ruine de l'an 2300 contre des extrémistes Slashers ne rêvant que d'éradiquer toute vie sur sa Terre à lui, la copie...
Que ce soit sur la Terre de Floyd ou dans l'univers de Verity, le récit est mené à un rythme trépidant qui, une fois n'est pas coutume, ne faiblit jamais tout du long de ses 588 pages, emportant le lecteur au fil d'un ouragan de péripéties. C'est avant tout un roman d'aventure et d'action ayant fonction de divertir. Alastair Reynolds laisse cependant bon nombre de points dans l'ombre à la fin du livre qui appelle une suite. Qui a créé l'hyperweb et les OVA, et pourquoi ? Pourquoi y avoir reproduit une image de la Terre dans les années 30 où l'écoulement du temps n'a repris que lorsque a été ouverte la liaison hyperweb de Phobos vingt-trois ans plus tôt ? Quel rapport existe-t-il entre Caliskan, le Thresher, et Châtelier, le leader fasciste de la France du monde alternatif ? Il y a de quoi faire...
Si La Pluie du siècle est mené tambour battant, l'intrigue reste cohérente, les personnages sont sympathiques et on a envie de les retrouver. C'est à coup sûr un bon moment de science-fiction en perspective, ce qui n'est pas si courant.