Cheung Poï, sud-ouest de Hong Kong. Shin-Ji met au monde clandestinement une petite fille dépourvue de cordon ombilical et de nombril. Quel est donc ce prodige ? Quoi qu'il en soit, Lucy — tel est son nom — intéresse déjà beaucoup de monde : à peine l'accouchement achevé, la mère et l'enfant doivent fuir devant un commando puissamment armé. Au même moment, de l'autre côté de la planète, à New York, Alvin Norge reçoit un étrange colis : une sorte de jeu de réalité virtuelle en temps réel, au sein duquel il rencontre un avatar de Dolorès, son ancienne compagne morte deux ans plus tôt. Celle-ci lui apprend qu'il lui a fait un enfant et qu'il doit les rejoindre à Hong Kong. A cet instant, Kimberley — le virus informatique créé par Norge en Août 2001 et qui apparaît sous les traits d'une charmante jeune fille — fait aussi irruption dans le jeu. Mais est-ce bien la vraie Kimberley ? Non, elle est devenue bien plus que cela, une damocle, sorte de super-virus autonome capable de s'infiltrer dans tous les systèmes informatiques, y compris celui de Norge pourtant bien protégé. Les damocles, actuellement au nombre de 49, semblent vouloir contrôler le monde... Quel rapport y a-t-il entre les damocles, Nathan Burcley — l'inventeur de la technologie Quantum qui a révolutionné l'informatique — , la triade mafieuse de Hong Kong K19, les travaux de Norge sur la modélisation informatique du génome du fœtus retrouvé dans le cadavre de Dolorès et Lucy, la petite sœur charnelle de la très virtuelle Kimberley ? Alvin Norge va devoir le découvrir...Il a toutes les cartes en main pour avancer dans son enquête sur Lucy, qui serait en quelque sorte sa propre « fille ». Mais n'est-elle que le fruit concret d'une modélisation de l'ADN, ou bien une chimère plus complexe, comme le laisse supposer l'absence de cordon ombilical ? Est-elle la première représentante d'une nouvelle espèce — comme Lucy, son homonyme australopithèque, avant elle ? Ou tout cela présage-t-il une apocalypse — comme pourrait le faire craindre le jeu de mots du titre où la « Lucy cyber » glisse vers Lucifer ?
Le moins que l'on puisse dire est que Chris Lamquet aime fouiller ses scénarios. Lucyber, qui initie une nouvelle trilogie, plante le décor et les très nombreuses composantes d'une intrigue rapidement palpitante. L'auteur progresse méthodiquement dans la construction de ce puzzle avec beaucoup de réussite plongeant le héros dans un véritable maelström. On ressent tout au long de la lecture la perplexité et l'incompréhension d'Alvin Norge qui affronte cependant les problèmes avec une certaine sérénité, au milieu de personnages dont il est souvent difficile de savoir dans quel camp ils jouent, sauf à se fier à des apparences trompeuses... Une confusion volontaire renforcée par le découpage éclaté des scènes : on passe sans cesse de Hong Kong à New York en transitant très souvent par l'ordinateur de Norge habité par la ravissante Kimberley et l'interface déjantée nommée Molmol.
Si le trait réaliste de Lamquet est très sûr, ce sont surtout les couleurs que l'on remarquera en raison de leur richesse inhabituelle, des éclairages variés et des oppositions saisissantes. Des ambiances très sombres caractérisent les scènes en Asie alors que Kimberley et Molmol bénéficient de couleurs très vives dans des tons verts et rouges censés évoquer l'univers cybernétique. Même les bulles profitent d'un encrage particulier permettant d'identifier très aisément s'il s'agit d'une pensée, d'une parole humaine ou d'une voix synthétique. On pourrait craindre au final un bariolage fatigant mais le résultat est au contraire tout à fait harmonieux.
Il ne nous reste plus qu'à attendre impatiemment les volets suivants, mais on peut d'ores et déjà lire et relire celui-ci : on aura le plaisir de découvrir à chaque fois quelque chose de plus, tant dans le scénario que dans le dessin, tous deux d'une très grande richesse.
Fabrice Fauconnier nooSFere 15/11/2002
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