C'était un lit en plein air.

     J'eus alors en tête des pensées pratiques. Qu'est-ce qu'elle fait de son plumard à la nuit tombée ? Est-ce qu'elle le remonte dans sa chambre ? Et s'il pleut ? Dispose-t-elle d'un baldaquin imperméable ?

     « Je sens une ombre, qui est là ?

     — Levez le nez, vous verrez bien.

     — Nenni. Je lis.

     — Ooooooh ! De la philosophie !

     — Vous aimez ça ?

     — Madâme, je pourrais vous en parler des heures durant.

     — Chiche ! »

     Toujours dans le royaume miniature qu'il a découvert en rétrécissant et d'où il ne compte plus partir, notre minuscule mousquetaire s'abandonne à une vie de plaisir en compagnie de ses diverses maîtresses. Mais il brave un interdit et se retrouve alors plongé au sein d'un univers aquatique où il rencontre des tritons-gitons, un faune dionysiaque, un centaure à tête de cheval — ce qui peut paraître difficile à distinguer d'un cheval — , d'un sphinx déprimé de toujours poser la même énigme — il n'en connaît pas d'autre — , d'une gorgone-bonde, etc.

     Les tribulations du mousquetaire ne s'arrêteront pas là. Sfar enchaîne les épisodes de ce conte philosophique et libertin avec une totale liberté de ton. Bien plus que dans ses autres séries, Sfar semble laisser son inspiration vagabonder au gré de sa fantaisie, laissant ses réflexions et ses fantasmes créer un univers sans queue ni tête. Un univers apparemment insensé mais qui fait pourtant sens, la fable étant même pourvue d'une morale : « il ne faut jamais sortir du dialogue ». Cette ballade philosophico-poétique n'a guère d'équivalent en bande-dessinée — on pourrait évoquer les Philémon de Fred, mais il y a chez Sfar une dimension érotique explicite et même prédominante.

     Cette liberté se retrouve aussi dans le dessin, notamment dans la mise en page et dans les ambiances qui varient tout au long de cet album riche en situations extravagantes.

     Evidemment, la série risque de déplaire aux lecteurs qui préfèrent des oeuvres plus conventionnelles. Le Minuscule mousquetaire est avant tout destiné aux adultes, pas tant en raison de l'érotisme qui s'en dégage que de son discours désabusé et de sa construction en totale rupture avec celles des récits d'aventures conformiste ou de ces épopées malicieusement qualifiées de « littérature de bas étage » — qui feront pourtant jouir l'une des nouvelles conquêtes du mousquetaire. Et il est surtout à conseiller aux amateurs de récits « différents », pour qui il sera un met fin et rare, un véritable régal.