« -Cette fois, ça y est, Madalis a entamé sa langue marche dans l'Empire Vertical...

     —Alors elle a commencé à distribuer ses blocs d'argile ?

     —Oui, et il suffit de se concentrer sur le bloc, et il prend aussitôt la forme de ce qu'on veut voir...

     —On projette ses rêves et le bloc les concrétise ?

     —Oui, petit Schnoubouf ! Toi, tu voudrais voir quoi ?

     —Je voudrais juste qu'Elide arrête de me laver sans arrêt !

     —Moi je voudrais avoir un gros tas de Sogrom, j'en aurais pour toute ma vie, je m'en gaverais, je me roulerais dedans, ce serait vraiment trop bien !

     —Je n'ai jamais vu un Schnoubouf aussi stupide, aussi infantile et aussi égoïste ! Heureusement, Madalis ne distribue pas ses blocs à des bestioles aussi demeurées que toi !

     —Si ça m'arrivait, je ne risquerais pas de partager avec toi...

     —Alors là, Schnoubouf débile, je m'en tape, je ne risque pas de bouffer de l'argile vulgaire en croyant que c'est du bon Sogrom !« 

     (Archives secrètes de Thorinth, Feuillet 57, rouleau XII, transcription de Homan Ophüls)

     Depuis que Madalis a décrypté les équations d'Amodef — le fondateur de la tour labyrinthique dont la conscience s'est dissoute dans les algues à sogrom — à propos d'Esiath — l'architecte de la tour, incarnée dans le pilier central de Thorinth — , elle est devenue une sorte de guide spirituel pour les sanodaths — des fanatiques drogués et suicidaires. Grâce à des blocs d'argile mutant — la matière dont sont faits le garde-fous et les schnouboufs, sortes de golems — , elle peut apporter la paix spirituelle aux fous qui peuplent Thorinth.

     Son but actuel est de se rendre dans l'Empire vertical, cœur économique de Thorinth, gouverné par un bouffon qui utilise de faux-empereurs comme autant de marionnettes. Madalis veut rendre sa liberté au peuple, selon la volonté d'Esiath, dont les manipulations cachent sans doute un objectif plus trouble.

     En compagnie des schnouboufs, le héros sans nom — qui s'appelle finalement Veï-Din — , l'obsessionnelle Elide et le sanodath masqué Lank-Milo tachent de rejoindre Madalis. Mais la dépendance sans cesse plus forte de Veï-Din au sogrom — drogue psychotrope aux étonnantes propriétés — freine leur progression. Les schnouboufs décident alors de contacter le garde-fous en défiant les lois du temps et de l'espace...

     Ce résumé ne traduit qu'une petite part de la complexité et de l'originalité du scénario de Nicolas Fructus, qui créé un univers absolument fabuleux, parfaitement cohérent malgré les logiques absurdes qui animent nombre de personnages — Thorinth n'est après tout qu'un immense asile psychiatrique — et malgré les fantastiques révélations sur la nature de ce monde et des deux êtres qui l'ont imaginé. Un univers sombre et pourtant plein d'humour, telle une farce grotesque et morbide qu'auraient imaginée ensemble Lewis Carroll — pour le « non sense » — , Philip K. Dick — pour la folie et la drogue — et Neil Gaiman — pour la dimension mystico-mythique de l'intrigue.

     Cette originalité se traduit aussi dans le superbe dessin de l'auteur, où s'intègrent parfaitement les dimensions macabre et loufoque de cette étonnante création. Décors, cadrages, couleurs, tout concourt à emprisonner le lecteur dans cette tour infernale.

     Bref, cette série est à ne pas manquer pour peu qu'on apprécie les univers insolites et différents. Un seul mot suffit à qualifier cette œuvre majeure : géniale !