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(Paris, France), coll. Science-Fiction / Fantasy n° 5770 Dépôt légal : janvier 2004, Achevé d'imprimer : décembre 2003 Première édition Roman, 448 pages, catégorie / prix : 9 ISBN : 2-266-11771-8 Format : 10,8 x 17,7 cm Genre : Science-Fiction
On a découvert, non loin de Mars, déjà terraformée et habitée, un tunnel spatial menant instantanément vers un autre système solaire peuplé par des humanoïdes. Hélas, les Terriens ont du même coup fait connaissance avec les Faucheurs, une race belliqueuse qui semble bien décidée à éradiquer toute forme de vie sur son passage.
Une équipe terrienne regroupant des anthropologues, un géologue et une botaniste est envoyée étudier Monde, une planète sur laquelle les habitants ont développé une culture étrange, basée sur un principe de réalité partagée : toute violence préméditée, tout mensonge ou désaccord avec la communauté est sanctionné par un douleur physique insupportable.
Mais cette mission scientifique n’est que la couverture d’un projet militaire visant à s’approprier l’un des satellites de Monde, un artefact qui renferme une arme redoutable. C’est sans compter la présence des Faucheurs dont la maîtrise technologique surpasse de loin celle des Terriens...
Premier volume d’une trilogie, Réalité partagée mêle habilement space opera et hard science. Nancy Kress aborde ici des thèmes qui lui sont chers comme l’anthropologie et les effets du développement technologique.
Critiques
Sur Monde, les habitants vivent selon la réalité partagée, dans une harmonie consensuelle qui ne souffre aucune dérogation : tout désaccord, toute violence s'accompagnent de terribles maux de tête. Les personnes coupables d'un quelconque crime se trouvent coupées des autres, qui les ignorent, mais reçoivent de l'Etat des pilules destinées à soulager leur souffrance. Une expédition terrienne composée d'anthropologues, d'un géologue et d'une botaniste (l'art floral est omniprésent chez les Mondiens) tente d'étudier les bases physiques de cette réalité partagée. Pour David Allen, rigide chercheur rêvant de grandeur, une telle découverte éradiquerait la violence entre les humains. Bazargan, le chef de l'équipe, est très attentif à observer les coutumes locales afin de persuader les prêtres que les Terriens partagent également la réalité. Si ce n'était pas le cas, ils seraient déclarés irréels et tués sur-le-champ.
Mais les chercheurs ignorent que leur mission dissimule un projet militaire destiné à étudier l'un des sept satellites de Monde, en réalité un artefact se révélant être une arme redoutable. Celle-ci est également convoitée par les Faucheurs, belliqueux extraterrestres qui empruntent, comme les Terriens, les tunnels spatiaux disposés à proximité des systèmes solaires par une race inconnue (une idée décidément de plus en plus répandue dans la S-F). Ce satellite artificiel a-t-il un lien avec la radioactivité qui se concentre sur une seule montagne de Monde, le lieu sacré et interdit de la Première fleur ? Peut-on l'étudier sans déclencher de catastrophe ?
L'intrigue se déroule alternativement sur Monde et dans l'espace, apportant progressivement des réponses aux problèmes posés par ces mystères. La partie scientifique, fort bien documentée, traitant essentiellement de neurologie et de mécanique quantique, est savamment distillée et exposée avec clarté. Il en va de même pour les développements anthropologiques qu'autorise la présentation de cette civilisation originale. Elle ne parasite jamais l'action, très prenante, de ce roman, mais lui fournit au contraire les rebondissements nécessaires pour culminer jusqu'au climax final, digne des meilleurs space op'.
On attend avec impatience la suite de cette trilogie 1.
Notes :
1. On signalera qu'a été publiée dans le Bifrost n°17« Les Fleurs de la prison d'Aulite », une novella de Nancy Kress directement à l'origine de la présente trilogie. [NdRC.]
La civilisation terrienne est en expansion depuis la découverte des tunnels spatiaux, construits par une espèce inconnue, qui ont ouvert la voie du voyage. S'en est suivie une période de développement et de rencontres avec d'autres races extraterrestres pacifiques... sauf les Faucheurs. Ils attaquent inlassablement les humains depuis le premier contact, et la Terre, lentement mais sûrement, perd cette guerre contre un ennemi implacable et mieux équipé.
Or, un satellite d'une planète récemment découverte — Monde — se révèle être un artefact gigantesque, probablement une arme. Le Zeus, vaisseau terrien, est immédiatement dépêché sur place sous couvert d'étudier les Mondiens. Ceux-ci ont développé une civilisation fascinante et poétique, presque dépourvue de violence, car tout comportement agressif ou nuisant à la communauté est immédiatement sanctionné par une migraine intense. C'est la « réalité partagée ».
S'engagent alors plusieurs intrigues parallèles, concernant principalement l'équipe d'ethnologues et la mission du Zeus. Et Nancy Kress réalise un travail admirable. Partant d'éléments plutôt éculés du space opera (tunnels spatiaux, race extraterrestre avancée mais qui a disparu, espèce vaguement insectiforme et redoutable qui déclare une guerre sans merci à l'humanité), elle brosse un tableau époustouflant, extrêmement cohérent, de la civilisation de Monde, et innove par une foule de petits détails. À l'aide de personnages solides, elle met en scène les conflits moraux des ethnologues avec talent, tandis que l'on se passionne pour les investigations du Zeus. Lentement mais sûrement, l'on pressent que les différents fils de l'intrigue finiront par s'entrecroiser.
Il est juste un peu regrettable que dans certains passages, les personnages ne soient pas un peu plus rapides à la détente : le lecteur possédant tous les points de vue du récit, il comprend parfois certains éléments plus vite que les protagonistes ; mais le retard est comblé suffisamment vite pour ne pas être réellement gênant.
Il est difficile d'en dire davantage sans risquer de déflorer les surprises -liées aux personnages et au monde décrit — qui, sans être totalement révolutionnaires, sont très bien amenées. Voici en tout cas un livre riche mais nullement indigeste, qui équilibre savamment la réflexion ethnologique, le space opera, la hard SE, et l'action ; on ne s'y ennuie pas un instant. Et quand on sait que ce volume, bien que le premier d'une trilogie, se suffit à lui-même, on ne peut qu'être comblé — tout en attendant tout de même de dévorer la suite.