RIVAGES
(Paris, France), coll. Fantasy Dépôt légal : septembre 1999, Achevé d'imprimer : septembre 1999 Première édition Roman, 312 pages, catégorie / prix : 129 F ISBN : 2-7436-0542-1 Format : 15,5 x 23,5 cm Genre : Science-Fiction
1365. Aux côtés du roi Pierre IV le Cérémonieux, Nicolas Eymerich, le célèbre grand inquisiteur dominicain, participe à l'invasion de la Sardaigne par les troupes espagnoles. Leur but : détruire le culte païen qui règne sur l'île, dirigé par l'effroyable juge Mariano d'Arborée.
Dans une autre dimension de l'espace et du temps, Eymerich livre bataille à son adversaire le plus acharné, un homme dont six siècles le séparent : le grand psychanalyste viennois Wilhelm Reich. Par quel miracle le combat de ces deux esprits d'exception peut-il avoir lieu ?
Ce n'est que l'un des nouveaux mystères qu'Eymerich affrontera dans ce quatrième roman palpitant consacré à ses aventures.
Le public italien a réservé un véritable triomphe au personnage d'Eymerich et aux romans de Valerio Evangelisti qui le mettent en scène. Cet anti-héros hors du commun est sans nul doute l'une des plus originales créations littéraires de ces dernières années.
Critiques
En attendant Cherudek, plus ambitieux et plus long, le quatrième volume des aventures d'Eymerich est sans doute le meilleur, celui qui, ramené d'Italie, a motivé la publication de la série. Quatre lignes narratives se mêlent. L'épidémie évoquée dans Metallica (in Galaxies n° 11) et expliquée dans Le Corps et le sang d'Eymerich a morcelé l'Amérique, et contre trois systèmes « éducatifs » (pseudo-zen, ultra-libéral et militaro-raciste), on suit les révoltes de trois adolescents, plus ou moins inspirées des idées libertaires du psychanalyste Wilhelm Reich — traduit chez Payot. On suit aussi la vie de celui-ci, ses délires et ses combats face aux nazis, aux staliniens et au maccarthysme. De son côté, Eymerich met rigueur et perfidie au service d'une expédition aragonaise contre la Sardaigne, sous le signe du grouillement, des animalcules, de la contamination et de la lutte contre des entités pré-chrétiennes qu'il ne peut que vouloir éradiquer. Enfin, dans un purgatoire à la Jérôme Bosch, le psychanalyste et l'inquisiteur se rencontrent, juge et médecin l'un de l'autre, mais tout aussi prisonniers l'un que l'autre.
Ce résumé ne peut rendre justice à un roman remarquable par son rythme, ses jeux d'échos, ses convergences thématiques ou factuelles, assez prenant pour que, dans son édition du 3 novembre, Le Canard enchaîné, qui n'est pas spécialement porté sur la SF et ne parle que de peu de livres chaque semaine, annonce sur trois colonnes que « L'inquisition, ça a du bon ! » — de quoi retenir le regard même de ceux qui, sur sa page 7, ne lisent que Cabu. Comme Reich voulait réconcilier Freud et Marx, Evangelisti peut réconcilier les amateurs de SF (et ici de dystopie), de fantasy et de fantastique, mais aussi ceux qui rejettent ces genres sans les connaître, et seront attirés par le roman historique, la référence psychanalytique... ou moult autres choses.
Cette fois, c'est en Sardaigne que le terrible inquisiteur va exercer ses talents. Il accompagne en effet le roi d'Espagne, venu à la tête d'une expédition militaire pour mettre fin à un culte païen dont les adeptes possèdent, semble-t-il, le pouvoir de guérir les malades, y compris les plus graves. Mais pourquoi les ruisseaux et torrents de l'île se mettent-ils à heure fixe à grouiller d'amibes et autres parasites rendant leur eau impropre à la consommation ? Ailleurs, prisonnier d'une cellule surréaliste située en un lieu indéterminé, Wilhelm Reich vit d'hallucinantes entrevues avec un Eymerich qui semble bien décidé à le psychanalyser. Ailleurs encore, dans un futur proche consécutif à l'effondrement des Etats-Unis causé par l'anémie falciforme, des jeunes gens originaires des différentes — et peu sympathiques — nations qui se partagent désormais le territoire nord-américain se retrouvent, pour punition, envoyés au mystérieux Lazaret... Enfin, certains chapitres content les épisodes cruciaux de la vie de Reich, dont les hypothèses sur les bions et l'énergie orgonique constituent la base même du roman.
A la lecture du résumé ci-dessus, pas besoin d'être un habitué de la série pour comprendre que Le Mystère de l'inquisiteur Eymerich nage en plein délire. Aux psytrons et aux cathares mutants gavés de colchique ont « simplement » succédé les orgones. Continuant sa tournée des théories scientifiques alternatives, Evangelisti se retrouve à chasser, métaphoriquement parlant, sur les terres d'Arthur Koestler, lui aussi grand spécialiste des marges et marginaux de la science. Le tragique destin de Reich, persécuté par les nazis puis par la justice états-unienne — qui aura finalement sa peau — , n'est pas sans rappeler celui du malheureux Paul Kammerer, un biologiste autrichien dont les travaux, parce qu'ils semblaient confirmer les théories de Lamarck sur l'hérédité des caractères acquis, lui valurent d'être traîné dans la boue par la communauté scientifique internationale (L'Etreinte du crapaud — Calmann-Lévy). Dans les deux cas, on assiste à un acharnement dont les motifs relèvent plus de la politique — à tous les sens du terme — que de la science, et c'est la nature de cet acharnement que dénoncent Evangelisti et Koestler dans leurs ouvrages respectifs. L'un des personnages de la partie « biographique », lorsqu'on lui demande s'il croit aux théories de Reich, joue sans doute les porte-parole de l'auteur quand il répond : « Je ne puis vous dire si cette énergie existe ou pas. Je n'ai pas la compétence nécessaire, et puis la chose ne m'intéresse pas beaucoup. Mais ce n'est sûrement pas un 'expert' judiciaire inconnu qui peut juger de décennies de travail, d'essais, d'expérimentations. » Toutes les époques possèdent leurs inquisiteurs.
Il paraît clair que ce quatrième volume des aventures d'Eymerich marque une étape importante dans la série. Plus long, plus complexe, il a en outre le mérite de commencer à dévoiler le projet global d'Evangelisti. Le lecteur français est d'ailleurs considérablement avantagé sur le lecteur transalpin, puisqu'il a déjà pu lire dans Galaxies la novella Metallica, parue en Italie bien après Le Mystère alors qu'elle se situe chronologiquement entre La Chair et le sang et le présent roman, dont elle met d'ailleurs en scène l'un des personnages. Le schéma général de l'histoire du futur « évangélique » se met en place, et il est frappant de constater combien cet avenir dystopique plonge ses racines dans le passé, et plus précisément à l'époque d'Eymerich. Certes, ce lien est avant tout une commodité littéraire, mais il est probable qu'il possède un sens que les prochains volumes finiront peut-être par dévoiler. Et pour ceux qui ignorent encore tout du redoutable dominicain, cette histoire d'horreur aux accents quasiment lovecraftiens constitue une excellente entrée en matière, puisqu'il s'agit du meilleur titre de la série traduit à ce jour.
Inutile de préciser que cette nouvelle aventure eymerichienne est tout aussi dingue que les précédentes. Le principe est identique, avec d'audacieux parallèles entre passé, présent et futur, suggérant que les hérésies du XIVème siècle ne seraient que la traduction de sciences inconnues, exploitées différemment à d'autres époques... Si vous avez aimé le côté mouvementé et feuilletonesque des premiers épisodes, si vous appréciez le mélange des genres et l'extravagance affichée, si vous recherchez un héros hors-norme et détestable... c'est Eymerich qu'il vous faut !
Après un troisième tome moins surprenant car très proche du deuxième, ce quatrième volet est à nouveau beaucoup plus stimulant, car il bouleverse notre vision de la série, qui acquiert désormais une cohérence insoupçonnée jusqu'à présent. Tout d'abord, en réintégrant de manière ordonnée des allusions aux futurs décrits dans les précédents volumes, c'est une véritable Histoire du futur que l'auteur commence à bâtir devant nous, une Histoire bien extraordinaire mais tout à fait logique...
Ensuite, après l'inventif psytron qui constitue une audacieuse particule physique, voici maintenant qu'Evangelisti introduit la notion de bions et d'orgones... Décrivant d'étranges petites particules mauves présentes dans la matière de façon universelle - dans la matière organique comme dans l'inorganique -, il apporte ainsi la preuve définitive que l'univers d'Eymerich n'est pas le nôtre ! S'il y ressemble superficiellement, notamment d'un point de vue historique, ses lois physiques et biologiques en diffèrent subtilement : c'est donc bien d'un univers alternatif qu'il s'agit, un univers dont aurait peut-être pu rêver &151; ou cauchemarder - Wilhelm Reich.
Ce personnage également peu commun - qui a existé comme Eymerich lui-même - est la dernière bonne surprise de cet étonnant ouvrage. Dans plusieurs scènes hallucinantes, Reich doit faire face au terrible inquisiteur et se trouve encore une fois persécuté comme il l'a été au cours de sa vie, dans son pays comme aux Etas-Unis, pour avoir eu des idées dérangeantes et dérangées...
L'adjectif "original" serait trop faible pour qualifier les romans d'Evangelisti. Il est évident que lui et son Eymerich n'ont pas fini de nous étonner !
Cité dans les Conseils de lecture / Bibliothèque idéale des oeuvres suivantesJean-Pierre Fontana : Sondage Fontana - Fantasy (liste parue en 2002) pour la série : Eymerich Francis Valéry : Passeport pour les étoiles (liste parue en 2000) pour la série : Eymerich