Catherine L. MOORE Titre original : Shambleau and Others / Northwest of Earth, 1953 Première parution : Gnome Press, 1953 (Shambleau and Others) / Gnome Press, 1954 (Northwest of Earth)ISFDB Cycle : Northwest Smith vol. 1
L'inoubliable Shambleau de Catherine L. Moore a remporté, de loin, la première place dans le référendum organisé parmi les lecteurs à propos des nouvelles réunies dans le volume de la même collection intitulé ESCALES DANS L'INFINI.
Cette hallucinante aventure n'a cependant pas été la seule de Northwest Smith et son ami, Yarol le Vénusien. Ils n'en ont pas manqué d'autres, tout aussi stupéfiantes, tout aussi fantastiques.
Northwest Smith est l'image même de l'Aventurier de l'Espace. Depuis sa tenue de cuir de navigateur interplanétaire, le pistolet thermique à la ceinture, jusqu'à son visage impassible, tanné par les soleils lointains, marqué par le souvenir de mille exploits périlleux, et surtout ses yeux imperturbables, pâles à en être sans couleur, avec des reflets d'acier.
Tout en lui porte le signe indéfinissable de l'homme qui a choisi de vivre dangereusement, parmi les inquiétants vagabonds des routes de l'infini, les étranges indigènes à peine humains des confins d'une douzaine de planètes.
Son nom est connu et respecté des hors-la-loi, honni par la Garde interplanétaire à laquelle, avec son compère Yarol, il a souvent donné bien des soucis.
Northwest Smith ne recule devant rien, ni les dieux oubliés, ni les plus diaboliques créatures, visibles ou invisibles, ni les secrets les plus fabuleux, les plus horribles. Pas même devant les périls pires que la mort !
Où l'entrainera le châle aux énigmatiques dessins qu'il a acheté sur les marchés Lakkmandar de la planète Mars ?... Jusqu'où suivra-t-il la jolie fille Minga rencontrée dans les bas-fonds d'un port vénusien ?...D'où lui est venue la bizarre marque rose qu'il porte au côté gauche de la poitrine ?...
Sa froide audace l'emporte dans un tourbillon d'aventures terrifiantes, sur la Terre, la Lune, sans oublier les planètes des mondes inconnus, et même hors de l'Espace et du Temps !
Sous le titre peu indiqué de « L'aventurier de l'espace » et une couverture évoquant un illustré pour enfants de douze ans, le « Rayon Fantastique » (Hachette) nous offre une sélection des deux recueils de Catherine L. Moore : « Shambleau and others » et « Northwest of Earth ». En fait, l'éditeur a choisi, sur le total de quatorze nouvelles des deux volumes, toutes celles qui ont trait au héros principal de l'auteur : Northwest Smith – soit huit nouvelles, sans compter la plus fameuse d'entre elles : « Shambleau », déjà parue dans l'anthologie « Escales dans l'infini » (même collection).
Cet ouvrage curieux à plus d'un titre est à recommander à tous ceux qui fuient les recettes toutes faites. Il n'est pourtant tout entier que l'exploitation d'une recette unique – mais l'important est que cette recette soit très personnelle. Imaginez un mélange de Flash Gordon et de Lovecraft, avec un relent du célèbre « She » de Rider Haggard, le tout sur le mode épique, et vous aurez une faible idée de la « manière » de l'auteur. La SF sert à Catherine Moore de prétexte à écrire des histoires d'horreur au son neuf et à l'envergure cosmique. On peut dire en somme qu'elle a inventé un genre : la science-fiction légendaire. Mars et Vénus telles qu'elle nous les peint, au temps des navigateurs de l'espace, ne sont que le cadre commode permettant de susciter des divinités, des démons et des monstres inimaginables dans toute autre perspective.
Ce qui frappe avant tout, c'est le caractère violemment névrosé de ces histoires. On y décèlera sans peine, derrière nombre d'effets d'horreur, une sorte de pornographie quintessenciée unique en son genre. Ainsi le « clou » de chaque histoire est la description toujours variée des sensations littéralement orgastiques de Northwest Smith, lors d'un accouplement matériel ou mental avec un monstre de préférence féminin et suprêmement beau, en même temps que suprêmement horrible. L'originalité de Catherine Moore est en effet d'avoir substitué à la monstruosité de la laideur, qui était avant elle l'apanage de Lovecraft, une monstruosité de la beauté.
La beauté est d'ailleurs le leitmotiv de ces récits. Outre les monstres, ils sont remplis d'héroïnes au charme fatal et surhumain, que l'auteur dépeint avec complaisance. Et dans l'absolu, on arrive au thème de « la beauté dont la vue rend fou ». Ainsi dans «La soif noire », où nous voyons une sorte de vampire qui se nourrit de beauté, en « cultivant » des femmes toujours plus belles dont le spectacle est une torture insoutenable pour un esprit humain. Devant une telle obsession, on peut se plaire à imaginer en Catherine Moore une personne très laide et passablement refoulée… (Supposition évidemment gratuite de ma part.)
Pour la puissance d'évocation, Catherine Moore dans ses meilleurs récits n'est absolument pas inférieure à Lovecraft. Leurs styles respectifs d'ailleurs ne sont pas sans présenter des ressemblances. Mais Catherine Moore apporte à ses descriptions nourries un art du détail plus spécifiquement féminin. Ses histoires sont construites comme des tapisseries, où des motifs entrelacés se chevauchent dans un flamboiement géométrique de lignes. Il y a là un art certain.
En revanche, Catherine Moore semble avoir une imagination plus limitée que Lovecraft. D'abord elle est incapable de bâtir une intrigue ; aucun de ses récits ne possède d'action à proprement parler. Ce ne sont que des suites de tableaux, magnifiquement brossés mais extrêmement statiques. Ensuite, tous sont bâtis sur le même canevas, d'où un effet de répétition qui serait lassant à la longue si les dernières histoires n'étaient, par chance, les meilleures du volume. Ce canevas est simple, sinon simpliste : à la suite d'une circonstance banale – en général une rencontre avec une femme – Northwest Smith est plongé dans un monde « en dehors » (monde onirique, monde adjacent, monde sur un autre plan du temps ou de l'espace, etc.) ; il y rencontre des objets d'étonnement et de terreur ; et il se trouve en fin de compte face à face avec l'innommable, en parvenant à s'échapper in extremis.
Sur cette trame, Catherine Moore brode des variations savamment diversifiées. Il arrive pourtant qu'elle reprenne froidement le thème d'une histoire antérieure. Ainsi, « Yvalla » apparaît comme un remake de « Shambleau », où la Méduse est remplacée par Circé.
Que sur ces données stéréotypées elle parvienne à ce degré de beauté hallucinatoire est la meilleure preuve de son talent. Un talent qui sans doute est le plus étrange que la SF ait produit en un quart de siècle d'imaginations délirantes. À ce seul titre, il mérite d'être apprécié.