BRAGELONNE
(Paris, France), coll. Les Intégrales Dépôt légal : novembre 2009 Première édition Recueil de nouvelles, 496 pages, catégorie / prix : 22 € ISBN : 978-2-35294-342-6 Format : 15,3 x 23,8 cm
Quatrième de couverture
Presque sous les pieds de Bran, une silhouette disloquée se tordait et gémissait. Le roi se pencha au-dessus du légionnaire romain, qui gisait dans la mare poisseuse de son propre sang.
— Les murs se sont effondrés... marmonna le moribond. Cela a commencé hier, avant l'aube. Un léger grattement, le bruit sourd de griffes, loin sous la terre. Nous autres sentinelles les avons entendus... comme si des rats, ou des vers, creusaient des galeries... Titus nous a ri au nez, mais les bruits ont persisté toute la journée. Puis à minuit, la Tour a frémi et a paru vouloir s'affaisser, comme si les fondations avaient été sapées...
Un frisson d'horreur parcourut Bran Mak Morn. Les vers de la terre !
Des vermines par milliers, creusant telles des taupes loin sous la forteresse, rongeant les fondations... Dieux, la région devait être criblée de tunnels et de cavernes... Ces créatures étaient encore moins humaines qu'il lavait imaginé... Quelles formes hideuses issues des ténèbres avait-il donc appelées à son aide ?
Après Conan, Solomon Kane et Le Seigneur de Samarcande, voici le sixième volume de la collection Robert E. Howard, rassemblant l'intégralité des récits consacrés aux Pictes et à leur dernier roi, Bran Mak Morn. Confronté à la Rome impériale, à la déchéance abjecte de son peuple, et aux répugnants « Vers de la Terre » (dans un récit reconnu comme un sommet du genre), Bran Mak Morn mène un combat désespéré dont il ne sortira pas indemne. Un recueil de Fantasy épique et macabre, et l'un des personnages les plus aboutis de la carrière de Howard.
Cette édition, élaborée par Patrice Louinet, l'un des plus éminents spécialistes internationaux de Robert E. Howard, bénéficie d'une nouvelle traduction à partir des manuscrits originaux et est agrémentée de textes inédits. Un ouvrage exceptionnel, superbement illustré par Gary Gianni.
1 - Patrice LOUINET, Introduction, pages 9 à 15, introduction 2 - Les Hommes des ténèbres (Men of the Shadows, 1969), pages 19 à 51, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 3 - Les Rois de la nuit (Kings of the Night, 1930), pages 53 à 105, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 4 - A Song of the Race (A Song of the Race / Untitled ("High on his throne sat Bran Mak Morn"), 1969), pages 107 à 109, poésie 5 - Un chant de la race (A Song of the Race / Untitled ("High on his throne sat Bran Mak Morn"), 1969), pages 111 à 114, poésie, trad. Patrice LOUINET 6 - Les Vers de la Terre (Worms of the Earth, 1932), pages 115 à 163, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 7 - L'Homme noir (The Dark Man, 1931), pages 165 à 204, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 8 - La Race perdue (The Lost Race, 1927), pages 205 à 225, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 9 - Untitled poem (Untitled poem ("The Bell of Morni") / Untitled ("There’s a bell that hangs in a hidden cave"), 2001), pages 227 à 228, poésie 10 - Poème sans titre (Untitled poem ("The Bell of Morni") / Untitled ("There’s a bell that hangs in a hidden cave"), 2001), pages 229 à 230, poésie, trad. Patrice LOUINET 11 - La Nuit du loup (The Night of the Wolf, 1969), pages 231 à 263, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 12 - Untitled poem (Untitled poem ("The Drums of Pictdom") / Untitled ("How can I wear the harness of toil"), 1969), pages 264 à 264, poésie 13 - Poème sans titre (Untitled poem ("The Drums of Pictdom") / Untitled ("How can I wear the harness of toil"), 1969), pages 265 à 265, poésie, trad. Patrice LOUINET 14 - Rusty BURKE & Patrice LOUINET, Notes sur les récits du « Petit Peuple », pages 269 à 271, notes 15 - Le Petit peuple (The Little People, 1970), pages 273 à 281, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 16 - Les Enfants de la nuit (The Children of the Night, 1931), pages 283 à 303, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 17 - Le Peuple des ténèbres (People of the Dark, 1932), pages 305 à 329, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 18 - Bran Mak Morn (Bran Mak Morn: a Play, 1983), pages 333 à 335, théâtre, trad. Patrice LOUINET 19 - Untitled poem (Untitled poem ("Rune") / Rune of the Ancient One / Untitled ("Gods of heather, gods of lake"), 1957), pages 337 à 338, poésie 20 - Poème sans titre (Untitled poem ("Rune") / Rune of the Ancient One / Untitled ("Gods of heather, gods of lake"), 1957), pages 339 à 340, poésie, trad. Patrice LOUINET 21 - Fragment sans titre (untitled fragment (A grey sky arched . . .), 1969), pages 341 à 345, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 22 - Bran Mak Morn : Synopsis (Bran Mak Morn (synopsis), 1988), pages 347 à 349, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 23 - Les Vers de la Terre (version de travail) (Worms of the Earth (draft version), 2001), pages 351 à 385, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 24 - Texte inachevé (Untitled fragment (Men have had visions ere now. . . .) / The Wheel Turns, 2005), pages 387 à 423, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 25 - Rusty BURKE, Robert E. Howard et les Pictes : chronologie, pages 425 à 457, notes, trad. Patrice LOUINET 26 - Patrice LOUINET, Howard, Bran Mak Morn et les Pictes, pages 459 à 487, postface 27 - Patrice LOUINET, Notes sur les textes, pages 489 à 491, notes
Critiques
Bran Mak Morn, sombre roi d’un peuple sur son déclin, les Pictes. L’homme noir, dernier rassembleur des clans, ne renonçant jamais malgré la menace des Romains et celle, plus grande encore, de l’oubli.
Le décor ? La Calédonie, entre le deuxième et le troisième siècle de notre ère. Une terre oubliée, une époque oubliée, un peuple oublié, à peine un nom dans les chroniques latines qui nous sont parvenues : picti, les Pictes. Cette rêverie sur des tribus dont en vérité il ne savait rien ou si peu a traversé l’œuvre et la vie de Robert Howard, de Brule le tueur à la lance, compagnon de Kull de Valusie, jusqu’à Bran Mak Morn et même au-delà.
Bran est roi, comme Conan ou bien Kull, mais il règne sur un peuple dégénéré, sauvage, ombre de l’ombre de ce qu’il fut, faisant face à la plus grande puissance de son temps : Rome. Bran Mak Morn se bat, mû par une fierté folle, par l’illusion peut-être que la grandeur des Pictes pourrait un jour revenir. Les récits le mettant en scène sont ceux d’une lutte désespérée, de combats gagnés au prix de l’utilisation d’une magie étrange (« Les Rois de la nuit ») ou de compromissions terribles (« Les Vers de la terre »). Les histoires de Bran Mak Morn sont au croisement de l’aventure fantastique et de ces récits historiques pleins de sang et de fureur dans lesquels Howard excelle. Elles sont amères, brutales et sans concession, et, de toutes celles que le Texan a écrites, les favorites de l’auteur de ces lignes. Par la qualité des récits, déjà, par l’originalité de leur décor, mais aussi parce que l’histoire du peuple picte permet à Howard de tirer un fil rouge de sang et de batailles à travers son histoire du passé. Ils relient les temps antédiluviens où régnaient des choses proches des Grands Anciens, à l’époque de Kull, puis à celle de Conan (dont les Pictes sont les pires ennemis), jusqu’à notre ère, l’histoire la plus significative à ce titre étant « Les Rois de la nuit » déjà citée, qui voit apparaître Kull l’Atlante en guest-star ! Quand pour de nombreux auteurs le cross-over est un exercice maladroit, Howard fait de cette histoire un grand récit de bataille et un beau vertige littéraire. On retrouvera les Pictes et Bran Mak Morn (en quelque sorte) jusque vers l’an mille dans le récit « L’Homme noir », mettant en scène Turlogh O’Brien.
La sympathie constante de Robert Howard pour ce peuple sombre, sauvage et vaincu dit beaucoup à son sujet. C’est à travers eux que je me suis pris à aimer le Texan.
Les histoires à lire absolument : « Les Vers de la terre », « Les Rois de la nuit ». Je dirais même : si vous ne connaissez pas Robert Howard et que vous ne devez lire qu’un seul livre de lui, prenez Bran Mak Morn.
Bientôt (le seize avril, pour être précis) paraîtra Les Dieux de Bal-Sagoth, septième ouvrage des éditions Bragelonne consacré à l'œuvre de Robert Howard, toujours orchestré par Patrice Louinet. Conan le Cimmérien, L' Heure du Dragon, Les Clous Rouges, Solomon Kane, LeSeigneur de Samarcande et Bran Mak Morn se sont ainsi succédés en dévoilant toute l'étendue du talent de l'auteur texan, avant cela cantonné au titre réducteur de « créateur de Conan ». Le travail de fourmi effectué sur ces éditions définitives se révèle payant : qui aurait cru, il y a encore quelques années, voir un jour publié un recueil de nouvelles consacré aux Pictes ? Chers amateurs de Robert Howard, il est sans doute inutile de vous décrire ces combattants farouches contre lesquels Conan s'est maintes fois battu, petits hommes trapus aux cheveux hirsutes et à la peau sombre parcourue de tatouages. Incarnation de la sauvagerie, dépourvus de tout instinct de survie individuel (mais dévoués à la survie du clan), les Pictes n'hésitent pas à s'élancer en masse contre l'ennemi, quasiment nus, dans des raids suicidaires où l'intérêt collectif prime sur leur propre vie.
Ce peuple laisse ainsi une trace sanglante dans les récits de l'auteur, où il figure généralement en tant qu'adversaire redoutable du héros proprement harcelé par son acharnement démentiel : on n'oubliera pas de sitôt Au-delà de la Rivière Noire, l'une des meilleures nouvelles consacrées à Conan (ou aux Pictes ?), dans laquelle Howard utilise nos amis trancheurs de gorges pour opposer civilisation et barbarie (cf. Les Clous Rouges). Ultimes résidus d'un monde oublié, survivants d'un Âge révolu, les Pictes ont cela de particulier qu'ils refusent de laisser place aux nouvelles générations nées de l'évolution humaine, s'obstinant à perpétuer leur lignée dans le vain espoir de retrouver un jour leur gloire d'antan.
À l'origine, les Pictes sont pourtant des gens pacifiques chassés de leurs terres baignées de lumière par les Celtes, condamnés à vivre dans des cavernes ou même sous terre et poussés à « pervertir » leur race en s'unissant à leurs ennemis de jadis, les « géants roux du Nord » (les Vikings). Par conséquent, les Pictes entretiennent une haine féroce envers les Celtes. Pourtant, curieusement, et comme nous le précise Patrice Louinet dans l'une de ses indispensables préfaces, l'auteur se sentait plus proche des Pictes que de la plupart de ses personnages, y compris Conan 1 : on retrouve ici son éloge permanent de la barbarie associé au mépris de la civilisation, plus spécialement romaine, jugée décadente.
L'histoire prend place du côté de l'ancienne Bretagne (qui regroupe aujourd'hui l'Angleterre, le Pays de Galles et le sud de l'Écosse), où le monde celtique reste sous la constante menace d'une invasion romaine et des raids vikings. Vous l'aurez compris, cette fois, Robert Howard nous fait traverser le miroir en nous plaçant du point de vue de ce peuple mystérieux jusque-là considéré par les lecteurs de Conan comme une sorte d'entité aux mille visages, un clan à la rage inextinguible au sein duquel un guerrier tué est aussitôt remplacé par un frère d'arme. Nous voilà donc du côté des « méchants ». Pourtant, dans le cas présent, les Pictes sont parfois alliés aux héros, généralement sous l'influence de leur chef. Tout cela nous amène à notre sujet : Bran Mak Morn, le dernier roi des Pictes 2.
Contrairement à l'image que l'on pourrait en avoir, le roi des Pictes n'est pas un fou sanguinaire aboyant des ordres insensés, mais un homme posé, intelligent, cultivé, qui tente de canaliser la folie meurtrière d'un peuple ayant fait de la sauvagerie sa culture pour en faire une armée organisée capable de s'opposer à la toute-puissante Rome. Ceci étant dit, le roi picte n'a rien d'un enfant de chœur, et cette brève réplique résume à elle seule la personnalité du personnage : « Le marchand a envoyé un espion de l'autre côté du Mur. Je lui ai renvoyé sa tête. » Notez toutefois que Bran Mak Morn n'apparaît pas dans l'intégralité des nouvelles, même si son ombre plane sur l'ensemble de l'ouvrage. Par exemple, il est (presque) totalement absent de L'Homme Noir, excellente histoire où le Gaël (ancien Gallois) Turlog O' Brien se lance dans un mission suicidaire pour sauver une jeune femme irlandaise d'une meute viking (notons, à ce propos, la présence de plusieurs « guest stars » dans le recueil, tel Kull, le célèbre roi barbare).
L'auteur s'applique ainsi à mettre en scène son roi picte (ou plutôt calédonien, issu de l'ancienne lignée des Pictes avant leur déchéance) au sein de nouvelles bourrées de personnages haut en couleur, d'action effrénée et de ces retournements de situation dont il s'était fait une spécialité (il faut bien le reconnaître : les personnages de Robert Howard font souvent preuve de réactions surprenantes confrontés à des choix moraux, et la noblesse d'âme se trouve souvent du côté des barbares). Curieux roi que ce Bran Mak Morn, capable de s'opposer à son peuple pour sauver la peau d'un ennemi, ou de mettre sa vie en jeu pour venger un sujet crucifié devant lui !
Bran Mak Morn s'inscrit donc dans la continuité des récits de l'auteur, tout en marquant sa différence. À la manière de Conan, l'œuvre s'inspire d'éléments historiques pour les intégrer dans un cadre d'héroïc fantasy 3, même si le terme de dark fantasy serait ici plus adapté, surtout en ce qui concerne Les Vers de la Terre : dernière nouvelle mettant en scène le roi picte, d'une tonalité fataliste et totalement désespérée. Nous retrouvons aussi un élément récurrent dans l'œuvre de Robert Howard, cette nostalgie d'une époque où les ethnies n'étaient pas mêlées, l'auteur associant le métissage à la déchéance des peuples (bien sûr, en replaçant tout cela dans un certain contexte, et je vous renvoie aux explications de Patrice Louinet pour approfondir ce parallèle).
Bref, on retrouve dans Bran Mak Morn tous le sel de l'œuvre howardienne, notamment cette ambiance de conte macabre déjà distillée dans certaines nouvelles de Solomon Kane, ou bien les aménagements historiques relativement libres du Seigneur de Samarcande. Son seul défaut pourrait résider dans le caractère a priori « anti-howardien » de son personnage (un petit homme régnant sur un peuple idiot), mais à la lumière des explications de Patrice Louinet, le roi picte apparaît finalement comme le plus « howardien » des guerriers imaginés par l'auteur texan.
Notes :
1. Il s'identifiait généralement, dans ses récits, à des géants celtes ou nordiques, et il aimait à rappeler ses propres origines irlandaises. 2. Les Pictes historiques peuplaient les Lowlands d'Écosse entre le IIIème siècle et le IXème siècle. 3. Les Rois de la Nuit fait beaucoup penser à la Bataille des Thermopyles, qui opposa les Spartiates aux Perses.