Relié par mille liens aux deux précédents romans et à la longue nouvelle incluse dans
Utopie 75 (entre autres : l'hôpital Garichancar du
Temps incertain dresse dès le début l'espoir d'apprivoiser l'inconnu ; les « empires » Dunn et Lunar des
Singes du temps s'affrontent d'un bout à l'autre ; et, à la fin, le prophète libertaire Oslobo Maslorovo annonce
la Fête du changement),
ce nouvel ouvrage de Michel Jeury va plus loin encore en complexité et en difficulté. Car Jeury qui, lorsqu'il signait Albert Higon des romans très vanvogtiens au RAYON FANTASTIQUE, élaguait et cartésianisait son maître, applique, maintenant qu'il a trouvé sa voie propre, le généreux principe de van Vogt : jeter à la volée toutes ses idées dans l'œuvre du jour sans se soucier de trier et d'en garder en réserve pour d'ultérieures semailles. Dans une société profondément aliénée, où l'espace même dont on dispose est illusoire (spacionique), les êtres cherchent follement une issue, volontairement par les « scenics », le culte des « désirs abjects », ou les rêves éveillés au temps dilaté fournis par l'alosan, ou pathologiquement par les syndromes psychosomatiques d'évasion (« soleil chaud ») ou de repli (« poisson des profondeurs »). Plus rien n'est sûr : l'autre n'est peut-être pas lui-même, puisque la cérébrotomie permet de changer de corps mais qu'« un lien subsiste entre le cerveau et le corps séparés » ; et
je est un autre, puisque les grandes machines pensantes, par « brain-contact », peuvent « s'affronter jusque dans les cerveaux des hommes ». A tout instant, chacun peut douter s'il vit la réalité ou un scénario conçu par lui-même ou par un autre, en un jeu infini de miroirs déformants. Sans pitié. Jeury traîne ses multiples personnages de terreur en torture, prisonniers-de ces cauchemars emboîtés ; mais lui-même ne se débat-il pas dans le cauchemar d'un autre ?