Ambrose BIERCE Titre original : The Devil's Dictionary, 1911 Première parution : New York, USA : The Neale Publishing Company, 1911ISFDB Traduction de Bernard SALLÉ Illustration de Kazimir MALEVICH
RIVAGES
(Paris, France), coll. Bibliothèque étrangère n° 11 Dépôt légal : novembre 1989 Encyclopédie / Dictionnaire, 312 pages, catégorie / prix : 49 F ISBN : 2-86930-294-0 Format : 10,7 x 17,0 cm✅ Genre : Fantastique
Troisième édition. Ce livre porte la mention "recueil de nouvelles" en pages intérieures mais s'apparente plutôt à un dictionnaire dans lesquelles les définitions seraient plutôt corrosives et moins factuelles que dans un vrai dictionnaire.
Abdication — Acte à travers lequel un souverain atteste qu'il est sensible à l'élévation de température de son trône
Antipathie — Seulement inspiré par l'ami d'un ami.
Arrêter — Mettre fin avec autorité aux actes insolites d'un individu. « Dieu fit le monde en six jours et fut arrêté le septième. »
Canon — Instrument utilisé dans la rectification des frontières.
Longévité — Prolongement inconfortable de la peur de la mort.
Jaloux — Qui s'intéresse indûment à la préservation de quelque chose qui ne peut être perdu que s'il n'est pas bien gardé.
Le Dictionnaire du Diable entrepris en 1881, est le fruit d'un travail intermittent de 25 ans. C'est un livre inclassable mais c'est peut-être avant tout un chef-d'œuvre d'humoriste, présenté aujourd'hui dans une nouvelle traduction établie à partir de l'édition définitive de 1911.
Ambrose Biercé était un esprit brillant, cultivé, contemporain de Marc Twain. Il débuta comme lui dans de nombreux journaux américains avec des nouvelles, des reportages et des critiques (il fut pendant longtemps l'un des éditorialistes les plus féroces de la presse Hearst).
A l'âge de 71 ans, il rejoignit l'armée de Pancho Villa et disparut à une date inconnue en luttant aux côtés des paysans mexicains.
Deux livres qui, à la suite de La fille du bourreau, précédemment publié par NéO, et les deux recueils ressortis chez Grasset, Morts violentes et Histoires impossibles, totalisent tout ce que Bierce a écrit en fait de fiction Une somme sans doute peu importante quantitativement, mais qui suffit à placer son auteur au sommet de la littérature moderne, quelque part entre Poe et Buzzati (ou entre Kafka et Kipling, pourquoi pas ?) Par son destin (Bierce a vécu la guerre de Sécession sous I'uniforme nordiste, et à plus de 70 ans, en 1913, il a disparu mystérieusement au Mexique dans le sillage de Pancho Villa : une histoire récemment romancée par Carlos Fuentes dans Le Gringo), l'auteur tient déjà une vie de récit fantastique, et de guerre, et d'horreur, ceci se nourrissant de cela : il n'est qu'à lire Morts violentes, récits de la guerre civile américaine, que le fantastique (les disparitions) touche toujours à l'ombre de la mort, pour s'en rendre compte. Et la propre disparition de Bierce semblerait issu d'un de ses contes, comme on en trouve à foisons dans Le mort et son veilleur, où les « mystères de l'Ouest » sont racontés par plusieurs témoins (hommes de loi, médecins, shérifs), de façon contradictoire, pirandellienne, ce qui en fait tout le sel, mais en même temps illustre bien la fragilité d'une nature humaine que Bitter Bierce (Bierce l'Amer, comme on le surnommait) ne portait pas en haute estime
Le dictionnaire du diable (reprit par NéO en fac-similé de la traduction faite chez Belfond en 1964, avec la longue et passionnante préface de Jacques Sternberg, qui est en quelque sorte un des petits enfants de Bierce) rend bien compte de cette amertume, de sa misanthropie. Certes ce genre d'exercice est commun à la plupart des littérateurs noirs (de Flaubert à Cavanna en passant précisément par Sternberg), mais il est difficile de rester insensible à l'humour froid de Bierce, dont le dictionnaire a le mérite d'être à la fois universel et d'être très précisément daté (historiquement et géographiquement, ce qui nous vaut un tableau pointilliste de la société américaine du début du XXe siècle pas piqué des vers). Un florilège ? Il serait tentant d'en remplir des pages, mais j'aime particulièrement CADAVRE : produit fini dont nous sommes la matière brute, ou ce très cavannien CERVEAU : Appareil grâce auquel nous pensons que nous pensons. Quant à l'absurde lewis carrollien, Bierce n'en est pas avare non plus : AUTRUCHE (...( : L'absence d'une bonne paire d'ailes capables de fonctionner ne constitue pas un défaut, car, comme on l'a fait ingénieusement remarquer, l'autruche ne vole pas.
Il est possible de compléter ce survol total de Bierce par le numéro d'Europe (Mars 88) consacré au « Fantastique américain », qui comporte une bonne introduction à l'auteur due à notre collaborateur Roger Bozzetto, qui note justement que les personnages de Bierce sont prisonniers d'une Histoire « pleine de bruit et de fureur », mais que « la voix du narrateur (sarcasme froid) intervient pour justifier cette apparente absurdité au nom de l'impitoyable perfection du plan éternel de la divinité ». Une définition lapidaire de la noirceur de diamant (on sait que ça vient du charbon) du personnage.