Un homme prêt à vendre son âme pour gagner aux courses... Une institutrice que l'on voit à deux endroits en même temps... Un criminel diabolique que les tribunaux sont impuissants à condamner... Un devin capable de prédire un meurtre... Un magicien qui revient du royaume des morts pour désigner son assassin... Un homme aux prises avec l'obstination aveugle d'un ordinateur...
Vingt pas dans l'insolite propose vingt et une nouvelles (l'insolite commence là) qui tentent de baliser le chemin tortueux entre les croyances fantastiques d'antan et les obscures réalités à venir, tout aussi inquiétantes. Le tour de force des écrivains réunis dans ces pages – John Dickson Carr, Edward D. Hoch, Helen McCloy, Joe Gores, Boileau-Narcejac, René Réouven, entre autres – est de donner à des énements bizarres, incongrus, fantastiques, une explication rationnelle. Tout en se permettant d'audacieuses spéculations sur le passé récent et des perspectives sur l'avenir d'autant plus effarantes qu'elles se parent de tous les dehors de la vraisemblance.
1 - Roland LACOURBE, Traquer l'insolite, pages 11 à 16, préface 2 - Stephen BARR, Une histoire incroyable (The Devil To Pay, 1958), pages 19 à 30, nouvelle, trad. Arlette ROSENBLUM 3 - Helen McCLOY, Le Miroir obscur (Through a Glass Darkly, 1948), pages 31 à 64, nouvelle, trad. René DURAND 4 - Roland LACOURBE, Notes sur un phénomène étrange : la bilocation, pages 65 à 71, article 5 - Wayne ROBBINS, La Chose (The Thing from Beyond, 1940), pages 73 à 101, nouvelle, trad. Vincent CORNIER 6 - John Dickson CARR, L'Homme qu'on ne pouvait pas photographier (The Man Who Couldn't Be Photographied, 1948), pages 103 à 123, pièce radiophonique, trad. Danièle GRIVEL 7 - J. Russel WARREN, Prédiction (Prediction, 1924), pages 125 à 141, nouvelle, trad. Danièle GRIVEL 8 - Roland LACOURBE, Notes sur le phénomène des prédictions, pages 143 à 154, article 9 - John NOVOTNY, À chacun son truc (A Trick or Two, 1957), pages 157 à 168, nouvelle, trad. Danièle GRIVEL 10 - Stuart TOWNE, La Carte de la mort (The Ace of Death, 1942), pages 169 à 206, nouvelle, trad. Danièle GRIVEL 11 - Phillip MacDONALD, La Faveur vert et or (The Gold-and-Green String, 1948), pages 207 à 242, nouvelle 12 - Edward D. HOCH, Comme par magie (Bag of Tricks, 1970), pages 243 à 266, nouvelle, trad. Danièle GRIVEL 13 - Manly Wade WELLMAN, Le Magicien assassiné (Murder Among Magicians, 1939), pages 267 à 291, nouvelle, trad. Danièle GRIVEL 14 - Roland LACOURBE, Note sur le "pacte de mort" des magiciens, pages 292 à 293, article 15 - J. BARINE, Les Vains commandements, pages 297 à 336, nouvelle 16 - S. S. VAN DINE, Annexe : les vingt commandements de S. S. Van Dine, pages 337 à 340, article 17 - BOILEAU-NARCEJAC, Au bois dormant, pages 345 à 410, nouvelle 18 - Joseph COMMINGS, Mort d'une ballerine (Die, Ballerine, Die, 1957), pages 411 à 429, nouvelle, trad. Danièle GRIVEL 19 - Edward D. HOCH, Le Vol dans la chambre vide (The Theft from the Empty Room, 1972), pages 431 à 448, nouvelle, trad. Danièle GRIVEL 20 - Paul HALTER, Le Clown de minuit, pages 449 à 458, nouvelle 21 - Anthony ARMSTRONG, La Larve (The Maggot, 1952), pages 459 à 474, nouvelle 22 - Joseph COMMINGS, Le Juif errant (The Wandering Jew, 1963), pages 477 à 486, nouvelle, trad. Danièle GRIVEL 23 - Joe GORES, MNCH JE VS M (Darl I Luv U, 1962), pages 487 à 504, nouvelle, trad. Bruno MARTIN 24 - Lloyd Jr BIGGLE, Justice supérieure (The Frayed String on the Stretched Forefinger of Time, 1971), pages 505 à 525, nouvelle, trad. Bruno MARTIN 25 - René REOUVEN, Un étranger vêtu de noir..., pages 527 à 555, nouvelle 26 - Gordon Rupert DICKSON, Les Ordinateurs ne discutent pas (Computers Don't Argue, 1965), pages 557 à 575, nouvelle, trad. Brigitte ANDRÉ 27 - Roland LACOURBE, Sources, pages 577 à 579, bibliographie
Critiques
À quoi reconnaît-on une bonne anthologie ? Difficile de répondre avant de l'avoir lue. L'anthologie est en effet l'un des exercices éditoriaux les plus périlleux : il faut d'abord définir un thème intéressant, original, suffisamment précis pour que les nouvelles que l'on y associera forment un tout cohérent, mais suffisamment lâche pour que celles-ci diffèrent sensiblement les unes des autres. Il faut ensuite trouver le juste équilibre entre plumes illustres et inconnues, auteurs francophones et étrangers, textes inédits et rééditions (le fin du fin étant de dénicher des textes rarissimes, voire inédits, d'auteurs extrêmement célèbres) : inutile de préciser que cela suppose un travail de bénédictin et une culture littéraire conséquente, à plus forte raison si l'on opère dans des genres (policier, imaginaire...) où les bibliographies sont lacunaires (c'est pourquoi l'anthologie revêt également une fonction fondamentale de conservation du patrimoine littéraire dans un format — la nouvelle — parmi les plus périssables).
Une fois le sommaire composé, il reste encore deux tâches à accomplir, qui, en cas d'échec, peuvent condamner totalement l'entreprise. Premièrement : présenter son projet au lecteur de manière convaincante, à l'aide d'une préface puis de chapeaux éditoriaux introduisant chaque nouvelle (et si possible chaque auteur). Cet exercice permet de justifier le choix d'un texte (quitte à solliciter un peu la thématique de l'anthologie pour mieux l'y faire entrer), mais il permet également à l'anthologiste de s'approprier son travail, d'y apporter une tonalité qui constitue sa marque de fabrique ; mieux encore, il doit aiguiser l'appétit du lecteur. Deuxièmement : trouver un titre accrocheur qui symbolise la cohérence du projet. C'est loin d'être le plus facile.
Heureusement, il est parfois plus facile de repérer une bonne anthologie du premier coup d'œil : grâce au nom de son anthologiste. Il y a quelques années, si l'on achetait un volume signé Alain Dorémieux, la probabilité d'être déçu était proche de zéro. Aujourd'hui, on peut se permettre de prendre le même genre de pari avec Roland Lacourbe. Vingt pas dans l'insolite 1 marque sa cinquième collaboration avec L'Atalante. Trois des quatre volumes précédemment publiés par l'éditeur nantais appartenaient exclusivement au genre policier (domaine de spécialité de Lacourbe) ; le quatrième, Eaux mystérieuses et mers infernales, offrait un sommaire hybride (tradition malheureusement un peu perdue en France) réunissant récits policiers classiques et histoires étranges et fantastiques. Avec ce nouveau volume, Roland Lacourbe reste dans la même ligne : le thème de son anthologie, l'insolite, est on ne peut plus passe-partout. L'insolite, c'est ce qui échappe à la raison, à la logique, à la compréhension, à la normalité... Dans ce volume, on trouve de l'insolite dans le genre fantastique, bien sûr, mais également dans le genre policier (difficile d'imaginer une anthologie de Lacourbe sans y retrouver les signatures de John Dickson Carr et Edward D. Hoch — quant à Paul Halter, Joseph Commings ou Clayton Rawson, sous le pseudonyme de Stuart Towne, ils sont également familiers de ses lecteurs) ou dans la science-fiction. Ces Vingt pas dans l'insolite sont ainsi subdivisés en quatre grandes parties (Aux frontières de l'irrationnel, Chez les magiciens, L'ange du bizarre et Passé improbable et futurs inquiétants), à l'intérieur desquelles se répartissent les 21 nouvelles du sommaire (un entracte et quelques articles thématiques — vieille habitude de l'anthologiste — s'insérant en quelques judicieux endroits).
Comme dans toute anthologie, certaines nouvelles ressortent nettement de l'ensemble. Impossible de ne pas citer le texte de Boileau-Narcejac : Au bois dormant, qui remonte au début de leur collaboration, est un véritable bijou à tout point de vue (une très efficace histoire de morts-vivants dans la Bretagne de la Restauration). La nouvelle d'Helen McCloy Le miroir obscur (1950) est le prototype éponyme d'un roman resté célèbre. Traitant du phénomène de bilocation (c'est à dire d'ubiquité), l'auteur apporte une solution probablement définitive — et rationnelle — à un étrange cas inspiré par un fait divers réel. Deux nouvelles plus science-fictives datées des années 60 (les textes de Gordon R. Dickson et Joe Gores), proposent d'intelligentes réflexions sur la place croissante de l'informatique dans la société. Le texte de René Réouven s'intéresse quant à lui à la question sensible du clonage. La nouvelle de John Novotny (À chacun son truc) 2, par son côté fantaisiste et un brin grivois, rappelle Fredric Brown. Les récits criminels de Vincent Cornier, John Dickson Carr (le script d'une pièce radiophonique — l'un des derniers formats où l'on peut encore dénicher quelques inédits de ce maître du suspense) ou Edward D. Hoch, sont tous de très bonne qualité. Les plus décevants pour le lecteur contemporain sont finalement parmi les plus anciens du sommaire : Prédiction (de J. Russell Warren), ou La faveur vert et or (de Philip MacDonald) ne sont pas aussi frappants que les autres. Ils ont en tout cas une valeur bibliographique certaine — et puis il en faut pour tous les goûts ! Glissons enfin un mot sur l'entracte que constitue le texte de J. Barine : l'auteur bicéphale, membre de l'OuLiPoPo (Ouvroir de Littérature Policière Potentielle !), s'y est fixé pour contrainte de violer systématiquement les fameux « vingt commandements » du roman policier, tels qu'ils avaient été définis en 1928 par l'auteur américain S. S. Van Dine. Une curiosité qui ravira les amateurs !
Voici donc un volume bien fait pour contenter un large lectorat. Quelques précisions tout de même : les fanatiques des chambres closes, qui se rueraient sur ce tome après y avoir lu les noms de Lacourbe, Carr, Halter ou Commings, risquent de déchanter très vite : une seule nouvelle du sommaire se rattache à ce motif. De même, bien que cette anthologie puise dans différents genres, comme nous l'avons vu, sa tonalité générale reste très proche du roman policier classique : que ceux qui y sont allergiques se considèrent comme prévenus... Pour tous les autres, pas d'hésitation : Lacourbe, c'est du solide !
Notes :
1. Un titre qui lorgne délibérément du côté de la collection Autres temps, autres mondes des éditions Casterman (1963-1983), où Alain Dorémieux réunit quelques-unes de ses meilleures anthologies. Jacques Papy et Michel Deutsch y proposèrent un volume intitulé Vingt pas dans l'au-delà (août 1970). 2. Notons au passage que cette nouvelle, présentée comme inédite en langue française, avait en fait déjà été traduite dans l'Anthologie Planète, dans le volume Les Chefs-d'œuvre du sourire (réuni par Jacques Sternberg, Jacques Bergier et Alex Grall, mai 1964), sous le titre Une jeune fille peut-elle se défendre ? (Un ou deux tours).
Adaptations (cinéma, télévision, BD, théâtre, radio, jeu vidéo...)Au bois dormant
, 1975, Pierre Badel (d'après le texte : Au bois dormant), (Téléfilm)