La mer a toujours exercé sur nous une irrésistible fascination mêlée de crainte. Howard Phillips Lovecraft évoquait « ces phobies qui ne vous lâcheront jamais  : la mer, les choses de la mer. Les abysses et les choses ignobles qui s'y développent à l'abri de la lumière... » Alors que la planète paraît explorée jusque dans ses contrées les plus reculées, les plus inaccessibles, la mer, incommensurable univers à trois dimensions, demeure encore impénétrable, cachant en son sein des merveilles et des abominations sans doute insoupçonnables.

   Cette anthologie se compose d'une vingtaine de nouvelles – dont sept inédites en français – écrites par des auteurs de romans policiers comme Lawrence Block ou Richard Hardwick, des romanciers, comme Amelia B. Edwards ou Arthur Conan Doyle, des maîtres du mystère comme Edward D. Hoch ou John Dickson Carr, des humoristes comme William Brittain et Roald Dahl, ou encore des maîtres du fantastique tels Jean Ray et William Hope Hodgson. Elle propose un vaste choix d'histoires prenant la mer pour théâtre.

   De l'odyssée de l'Arche de Noé au naufrage du Titanic, du mythique Hollandais Volant à l'étrange Mary Celeste, les grands mystères et les tragédies de la mer se sont donné rendez-vous dans ces pages. Pour vous émouvoir, vous intriguer, vous surprendre, vous faire sourire... ou vous faire peur.

     Roland Lacourbe n'a de cesse de nous démontrer, au fil des ans et des volumes, que tout ouvrage qui porte sa griffe est de ceux que l'on peut acquérir aveuglément, sur la foi unique du nom de leur anthologiste. Après avoir successivement livré à L'Atalante deux opus intégralement consacrés au genre policier (25 histoires de chambre close, 1997  ; 30 recettes pour crimes parfaits, 1998), il nous propose cette fois-ci une sélection de vingt nouvelles (dont sept inédites dans notre langue) puisées dans des genres divers, auxquelles s'ajoutent deux articles consacrés à deux faits maritimes parmi les plus insolites de l'Histoire  : l'énigme de la Mary Celeste et le naufrage du Titanic.

     Le thème choisi – le monde de la mer – pourrait décourager même les moins méfiants, tant il semble (tant pis, j'ose le dire) bateau au premier abord. Ce serait mal connaître Lacourbe  : si on retrouve au fil des pages plusieurs poncifs tels que le vaisseau maudit (La Damnation de l'Essen), le naufrage spectaculaire (Au cœur du naufrage) ou le huis-clos pesant du lifeboat (Wynken, Blinken et Nod), ils s'intègrent le plus souvent dans des variations inattendues ou pertinentes, comme par exemple sous la plume chevronnée d'Edward D. Hoch qui renouvelle les clichés les plus éculés avec une virtuosité peu banale.

     Outre la qualité des textes, la grande force de ce volume provient du mélange des genres voulu par l'anthologiste. Aux histoires criminelles qui sont sa spécialité, Lacourbe adjoint cette fois-ci une sélection d'histoires fantastiques et mystérieuses qui occupent une bonne moitié du recueil. Le thème se prête à merveille à cette sélection hétérogène voire hétéroclite (Lacourbe rappelle à juste titre dans sa préface à quel point le monde maritime est le théâtre idéal du crime, du fantastique et de l'inconnu).

     Discrète ombre au tableau  : si dans son choix de nouvelles fantastiques, Lacourbe s'est bien gardé d'oublier l'incontournable Psautier de Mayence de Jean Ray (nouvelle fantastique la plus récente du sommaire, qui au passage fut pour la première fois publiée en volume dans La Croisière des ombres (1932) et non dans Le Grand nocturne (1942), comme l'indique par erreur la bibliographie), il a opéré sa sélection sur une trop courte fourchette chronologique, donnant une unité de ton en léger décalage avec la tonalité générale de l'ouvrage, placé sous le signe de la diversité. Bien sûr, force est de convenir que cette anthologie recèle une grande variété de récits criminels maritimes, mais on aurait aimé que sa partie fantastique et mystérieuse donne une vision au moins aussi riche des possibilités qu'offre cet univers. Non que le choix des auteurs soit critiquable  : Jean Ray, Maurice Renard, William Hope Hodgson ou Conan Doyle (dans sa période spirite) sont parfaitement à leur place ici. Mais quelques plumes un peu plus modernes n'auraient nullement déparé le choix.

     Qu'à cela ne tienne  ! l'espace de quelques heures, le lecteur pourra se croire revenu à l'époque bénie où les éditeurs moins pusillanimes (Pauwels et Bergier en tête) proposaient d'audacieuses pépites littéraires comme les anthologies Planète. Ces fameuses anthologies en échange desquelles certains bouquinistes – rapaces  ! – réclament aujourd'hui de petites fortunes.

     Soyez donc prévoyant  : jetez-vous dès à présent sur ce remarquable volume, vous économiserez du temps et de l'argent.