LIBRIO
(Paris, France), coll. Littérature contemporaine n° 364 Dépôt légal : avril 2000, Achevé d'imprimer : avril 2000 Première édition Anthologie, 128 pages, catégorie / prix : 10 FF ISBN : 2-290-30539-1 ✅ Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
Le futur a déjà commencé
Michel Le Bris — Serge Lehman — Norman Spinrad — Stéphane Nicot — Ayerdhal — Jacques Chambon — Jean-Claude Dunyach — Marion Mazauric
La science-fiction n'a jamais rien fait d'autre que de parler de nous, du monde autour de nous qui change et nous change, de l'inconnu qui nous appelle, nous meut et nous effraie — de l'inconnu dans le regard de l'autre, qui nous renvoie
à notre part d'inconnu, en nous : puisque ces mondes imaginaires qui nous révèlent le nôtre, dans l'écart même qu'ils aménagent, sont les nôtres, produits de nos rêves, de nos peurs, de nos fantasmes. Un art de la frontière, en somme, au sens que les pionniers donnaient à ce mot. Ces êtres verts aux yeux globuleux qui nous faisaient frissonner dans les années cinquante n'étaient que notre miroir. Les créant, nous nous interrogions sur nous-mêmes — et sur l'altérité en nous. La SF plus que jamais vivante — puisque le futur a déjà commencé.
1 - Michel LE BRIS, Préface, pages 7 à 11, préface 2 - Serge LEHMAN, Nulle part à Liverion, pages 13 à 77, nouvelle 3 - Stéphanie NICOT, Interview de Norman Spinrad, pages 79 à 89, entretien avec Norman SPINRAD, trad. Nathalie MÈGE 4 - AYERDHAL, L'Adieu à la nymphe, pages 91 à 102, nouvelle 5 - Jacques CHAMBON, La Science-fiction au tournant, pages 103 à 109, article 6 - Jean-Claude DUNYACH, Déchiffrer la trame, pages 111 à 121, nouvelle 7 - Marion MAZAURIC, La Littérature du futur, pages 123 à 127, article
Critiques
Essais + nouvelles : la bonne formule !
Quatre petits essais sur la SF, une interview, trois nouvelles, le tout en 127 pages pour 10 FF : qui dit mieux ? D'autant plus que tout (ou presque) y est parfait. À commencer par la préface de Michel Le Bris, le directeur du festival de Saint-Malo (« Étonnants voyageurs » du 4 au 8 mai 2000) et auteur également d'Utopie SF chez Hoebeke. Le Bris aime la SF, dit pourquoi et le fait savoir, balayant impitoyablement la critique mainstream qui ne peut l'ignorer (comme si un critique musical ignorait le jazz ou le rock...). Et il le prouve par la réalisation de cette anthologie. Serge Lehman l'entame par une longue et très belle nouvelle, Nulle part à Liverion : ou comment la preuve de l'existence d'une contrée imaginaire peut mettre en échec une politique économique toute-puissante. Ou comment, pourrait-on dire, la poésie vainc la force... Texte fort, oscillant avec un admirable équilibre entre utopie et politique-fiction. L'interview, classique, de Norman Spinrad, apporte la pause nécessaire au recueil, par son intelligence narquoise. L'Adieu à la nymphe d'Ayerdhal m'a moins séduit, peut-être par son style un peu gratuit. Nouvel essai, de Jacques Chambon cette fois (Flammarion), sur la SF et ce qu'on attend d'elle au tournant de l'an 2000. S'attardant sur son impact, il a notamment cette phrase à propos des auteurs : « Ni futurologues, ni prospectivistes, ils se contentent, à partir d'une tendance ou d'un trait qui les a frappés dans leur environnement technologique, économique ou social, d'émettre une hypothèse sur ce que pourrait être la situation engendrée par une exagération, une extension ou une systématisation de cette tendance ou de ce trait. » Voilà l'une des plus pertinentes définitions de la SF que je connaisse... ! Et il continue : « La SF ? Un moyen de conjurer le mal en lui donnant un visage plausible. » Remarquable, vous ai-je dit. Déchiffrer la trame est une nouvelle déjà fort connue et quasi classique de Jean-Claude Dunyach qui eut le rare privilège d'être lue par nos amis anglo-saxons (parution dans la revue Interzone). Et qui le mérite amplement, par sa très grande sensibilité. Dans son essai conclusif, Marion Mazauric (J'ai Lu) écrit une phrase simple et formidable : « Contester le présent au nom de l'avenir qu'il porte en germe est donc subversif. » C'est là décrire toute la SF, sa force et son importance. Et voilà pourquoi le Librio, petit par son format, est si grand par son contenu.
Pour tous ceux qui pensent que « la guerre est finie et nous l'avons gagné », ces deux livres vont apparaître comme des communiqués de victoire. Les autres, qui savent que le combat n'est jamais fini, y verront, avec plus de nuance, deux comptes rendus complémentaires d'une bataille de première importance.
Pourquoi ce langage belliqueux ? Parce que la science-fiction — et, plus généralement, l'imaginaire — n'a toujours pas dans notre pays la place qui lui revient, parce qu'entre sci-fi au rabais et oeuvres ambitieuses qualifiées d'absconses, l'establishment littéraire a beau jeu de mépriser ce goût des autres. Bataille de première importance, donc — et bataille gagnée ! — , que la place de choix accordée à ta SF lors du dernier festival Étonnants Voyageurs, auquel ces livres sont associés en la personne de leur concepteur.
Explorateur des légendes et des réalités, Michel Le Bris n'a jamais fait mystère de sa passion pour la SF, qu'il affirme une nouvelle fois dans les préfaces de ces deux anthologies. Quant aux sommaires de celles-ci... Le Guin, Ballard, Spinrad, Bradbury, Farmer et autres géants dans la première et, dans la seconde, trois des plus passionnants auteurs français d'aujourd'hui, Ayerdhal, Lehman et Dunyach. Le lecteur n'est pas volé. Cerises sur le gâteau Librio, des textes de Jacques Chambon (qui a également participé à l'élaboration du Hoëbeke) et de Marion Mazauric, plus une interview décapante de Spinrad réalisée par le rédac-chef de Galaxies.
On entend d'ici les grincheux : copinage, népotisme, renvoi d'ascenseur... ou séné et rhubarbe, pour les plus décatis. Eh bien, montrons-leur que nous n'avons pas perdu tout esprit critique : il eût été souhaitable de préciser davantage les sources des nouvelles ici reprises, dont trois en tout proviennent de Galaxies et d'Utopia 1. Mais foin de mesquineries : autant Étonnants voyageurs — Utopies SF que Le futur a déjà commencé sont conçus pour faire découvrir à un large public ce que la SF peut avoir de plus moderne, et quant aux lecteurs déjà aguerris, ils trouveront dans leurs pages des trésors parfois inaccessibles depuis des années. À lire, donc, et à conserver, en attendant les surprises de la 12e édition du festival Étonnants voyageurs.
Paul DUVAL Première parution : 1/6/2000 dans Galaxies 17 Mise en ligne le : 18/7/2009