J'AI LU
(Paris, France), coll. Fantasy (2000 - 2007) n° 6336 Dépôt légal : janvier 2003, Achevé d'imprimer : 17 janvier 2003 Roman, 224 pages, catégorie / prix : H ISBN : 2-290-32042-0 Format : 11,0 x 18,0 cm✅ Genre : Fantasy
À peine s'étaient-ils trouvés que Janes et Livia devaient déjà se séparer, victimes de la perfidie du Ksaar Asraan.
Tandis que la jeune femme reste prisonnière du tyran, Janes, désespéré, a fui vers le royaume de Lys, la contrée des magiciens-poètes. Un jour pourtant, un étrange bateleur vient lui demander de retrouver l'Anthémion, l'anneau sacré, dont pourrait dépendre le sort de son aimée. Or, selon la prophétie, cet artefact doit précipiter rien moins que la chute d'Asgard et la mort des dieux.
Mais dans l'ombre, faeders et dragons intriguent toujours pour réaffirmer leur emprise sur les hommes. Inexorablement, le souffle de la guerre se propage...
Fabrice Colin est né en 1972. Infatigable explorateur des sentiers du merveilleux, il en propose une vision tour à tour drôle (À vos souhaits) ou romantique (Vestiges d'Arcadia), pour les plus jeunes (Les enfants de la Lune) ou les adultes (son très personnel Or not to be), avec une exceptionnelle maestria narrative. Il célèbre ici les fascinantes noces de la mythologie nordique, du conte de fées et de la tragédie shakespearienne.
Critiques
D'abord parus chez Mnémos en 1999, Le Fils des Ténèbres et La Saison des conquêtes sont les deux premiers tomes d'une remarquable trilogie dont J'ai lu va prochainement publier — enfin ! — le troisième volume resté inédit, La Fonte des rêves. Inspiré de légendes nordiques, le cycle de Winterheim est l'occasion pour l'insaisissable Fabrice Colin de contourner les sentiers balisés de la fantasy et de nous offrir un opéra sombre et sauvage, truffé de références mais profondément personnel ; on y retrouve, plus évocateur que jamais, cet onirisme lyrique et vénéneux chargé de symbolisme qui imprégnait déjà son cycle d'Arcadia et son récent Or not to be, ainsi que ce sens aigu du tragique hérité de Shakespeare.
Le premier « mouvement » du Fils des Ténèbres prend la forme d'un conte horrifique d'une puissance poétique hors du commun où Colin campe son décor glacial et enneigé, hanté par les Faeders d'Asgard. Nous y sommes les témoins médusés du viol de la déesse de la Nuit — l'une des trois Ténèbres, les deux autres étant la Mort et la Peur — par le roi Helmer. De cette union contre-nature naîtra le héros de la saga, Janes Oelsen. Commence alors un récit plus enlevé, quête initiatique menée avec un talent jamais démenti, où l'impétueux Janes affronte une armée de squelettes, est témoin de la mise à mort de son propre frère et nourrit des rêves de vengeance à l'égard du cruel draaken Asraan, avant de rencontrer l'amour en la personne de Livia, dans un passage d'anthologie. Comme son personnage, Colin fait feu de tous bois en multipliant les tons et les couleurs, sans jamais sacrifier à l'homogénéité du récit, et transcende un scénario sans grande originalité par son style flamboyant et son arrière-plan référentiel aussi discret que prégnant — on pense entre autres au cycle arthurien, aux poètes et aux peintres anglais du XIXe siècle ou encore, évidemment, aux Niebelungen de Wagner.
La Saison des conquêtes montre un visage assez différent, sans rompre pour autant l'unité de la série. Janes, résigné à ne plus revoir Livia retenue prisonnière par son ennemi mortel Asraan, tente de se reconstruire une vie au cœur de la vallée des magiciens-poètes. Un saltimbanque lui redonne pourtant espoir : s'il parvient à s'emparer de l'Anthémion, un anneau mythique forgé par les trois Ténèbres, peut-être pourra-t-il délivrer sa bien-aimée. La quête de l'Anneau constitue l'essentiel de ce second tome, moins spectaculaire que le Fils des Ténèbres, plus inégal mais aussi plus hypnotique. Ici, rêve et réalité s'accouplent sans crier gare et accouchent d'une constante étrangeté fantastique dont la force d'évocation est proprement saisissante. Tandis que le premier tome, après son prologue élégiaque, alternait habilement heroic-fantasy virevoltante et onirisme exacerbé, nous sommes plutôt ici dans une sorte de Seigneur des Anneaux sous acide, où les Faeders et autres créatures mythologiques, sentant leur fin venir, mettent le monde à feu et à sang, plongeant ainsi les hommes dans un inframonde incertain.
Le cycle de Winterheim et son cadre de fantasy ont permis à Fabrice Colin de donner libre cours à son inventivité formelle et à son goût prononce pour le romantisme noir, et de déployer toute l'étendue de son style. Le bienheureux lecteur qui découvrira les aventures de Janes Oelsen pour la première fois grâce à cette réédition (définitive, nous assure-t-on) aura la tête saturée d'images atroces, magnifiques, féeriques, tant Colin a su donner corps à ses visions fantasmatiques. Le dernier tome de la trilogie devrait clore en beauté la saga crépusculaire du royaume de l'hiver.
Ce deuxième tome de Winterheim séduit à nouveau dès les premières lignes par la force des tableaux que sait peindre Fabrice Colin. On y voit par exemple des rois-poètes se lancer à l'assaut du clair-obscur en quête d'essences de rêves, que des paroles pourront modeler afin d'incarner une nymphe d'amour perdue...
Si les images demeurent le point fort du roman, l'action marque une pause : il n'y a pas d'événement majeur, et l'intrigue est centrée sur un voyage destiné à trouver l'anneau d'Anthémion, tandis que les personnages - humains, dieux et draakens - jouent une tragédie, une partie complexe qui n'est pas gagnée d'avance. L'histoire d'amour de Janes et Livia devient ainsi un long et magnifique chant lyrique, foisonnant d'images oniriques et poétiques, qui nous entraîne de façon quasi-hypnotique vers le troisième et dernier tome. La partie centrale, autour des saltimbanques, est cependant moins marquante, davantage dans la tradition des équipages hétéroclites qui abondent en fantasy. Heureusement Colin ne laisse jamais longtemps la narration s'amollir, et les visions fabuleuses dont il a le secret reprennent vite leur droit : son style envoûtant fait encore des merveilles.
A noter que l'ouvrage s'ouvre sur des excuses... L'auteur et l'éditeur se désolent pour le "désagrément" occasionné à "certains lecteurs" par la "facétie littéraire" que constituent les récits enchevêtrés des rêveries de Janes et Livia... passage que nous avions justement admiré dans la critique du premier volume ! Souhaitons que les quelques plaintes de ces lecteurs mal réveillés ne dissuadent pas l'auteur d'enrichir ses textes d'audaces formelles que bien d'autres savent goûter lorsqu'elles sont aussi remarquablement réussies !