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La Guerre des salamandres

Karel CAPEK

Titre original : Válka s mloky, 1935   ISFDB
Traduction de Claudia ANCELOT

La BACONNIÈRE , coll. Ibolya Virag suivant dans la collection
Dépôt légal : juin 2012
Roman
ISBN : 978-2-940431-08-3
Genre : Fantastique

Critiques
 
     Sans doute moins connu dans nos contrées, même s'il apparaît comme un acteur incontournable de la scène littéraire tchèque des années 1920-1930, Karel Capek fait figure de précurseur dans le domaine de la proto-SF européenne. Un auteur au moins aussi important que H. G. Wells, Rosny Aîné, Maurice Renard, Jacques Spitz ou Régis Messac, et dont la postérité a retenu surtout la paternité du terme robot, dérivé du tchèque robota (corvée), apparu pour la première fois au théâtre dans la pièce R.U.R. Rossum's Universal Robots, (1920).
     Paru en 1936, La Guerre des salamandres suit peu ou prou un schéma proche de celui de R.U.R., tant du point de vue stylistique que thématique, les robots étant remplacés ici par l'espèce intelligente des salamandres. Karel Capek y déploie le même point de vue satirique, teinté d'humour noir, prenant pour cible les gesticulations pathétiques de ses contemporains. Son propos gagne juste en ampleur, s'étendant au monde entier pour se focaliser sur la géopolitique du milieu des années 1930.
     L'argument de départ a le mérite de la simplicité. Le capitaine d'un navire de commerce découvre sur une île isolée de l'archipel de la Sonde l'existence d'une espèce animale inconnue. Confinée dans une baie retirée, une bestiole grégaire prolifère dans l'indifférence générale, maudite par les autochtones et chassée par les requins. Comme cette créature semble douée de raison — elle construit des digues sous-marines, creuse le rivage pour s'y abriter et utilise les outils qu'on lui donne — , le capitaine voit rapidement le parti qu'il peut tirer d'elle, en particulier pour la collecte des perles. De fil en aiguille, sa petite entreprise devient une grosse société dont les associés monopolisent cette population amphibienne prolifique, taillable et corvéable à merci. Flairant la bonne affaire, le Salamander Syndicate s'empresse de louer les services de ses salamandres aux différentes nations, disséminant l'espèce sur toutes les côtes et provoquant un boom économique mondial. Converties en ouvriers et en soldats par des pays avides de puissance et de croissance, les salamandres s'adaptent à leurs nouvelles conditions de vie et apprennent beaucoup au contact des humains, surtout leur savoir pratique, technique et utilitaire. Et l'humanité ne pressent pas que le péril vient de la mer...
     La Guerre des salamandres est un prétexte pour mettre en lumière les travers de l'Homme. Dans un registre n'étant pas sans évoquer celui du conte philosophique, Karel Capek se livre à un joyeux dynamitage de la civilisation humaine. En effet, bien peu de domaines échappent à sa plume ironique et un tantinet surannée — ce qui fait également son charme. Nationalisme mortifère des Etats, culte de la pureté et du surhomme nazi, tentation totalitaire du communisme, querelles stériles de la Science, goût pour le sensationnel de la presse, futilité de l'industrie cinématographie, opportunisme à court terme du capitalisme, dérives sectaires et artistiques, Capek brocarde tout ce petit monde avec une verve fort réjouissante.
     La Guerre des salamandres appartient à la même génération que La Guerre des mouches de Jacques Spitz (réédité en 2009 dans l'omnibus Joyeuses apocalypses, chez Bragelonne) et Quinzinzinzili de Régis Messac (dernière édition chez l'Arbre vengeur, 2007). Même s'il achève son roman par une touche plus optimiste, pour ne pas dire moraliste, Karel Capek partage avec ces confrères un état d'esprit semblable, comme une douloureuse certitude : l'humanité s'achemine vers sa perte, ou du moins vers une conflagration mondiale apocalyptique. Une prémonition confirmée dans les faits par la Seconde Guerre mondiale...
     Bref, on ne peut que conseiller la lecture de cet ouvrage patrimonial. Une œuvre salutaire, sincère et finalement encore très contemporaine dans son constat et les réflexions accablées qu'elle suscite.

Laurent LELEU
Première parution : 1/10/2012 dans Bifrost 68
Mise en ligne le : 9/4/2016

Critiques des autres éditions ou de la série
Edition ÉDITEURS FRANCAIS RÉUNIS, (1961)

    Soit une certaine espèce d'êtres appartenant au règne animal. Amenés dans un milieu particulièrement favorable, ses représentants croissent et se multiplient. Comme ils semblent doués d'intelligence, les humains qui les ont découverts leur confient de petits travaux, puis des tâches plus délicates, enfin des ouvrages tels que leur développement exige la création d'une nouvelle économie et la réorganisation de l'industrie et du commerce…

    Or, pour l'accomplissement de leur besogne, ces êtres inférieurs ont besoin d'une certaine instruction, d'un ensemble d'outils et de produits manufacturés : l'homme leur donne l'une et les autres – non sans s'attarder aux subtilités juridiques et administratives de l'opération. Il en néglige en revanche les implications idéologiques ; il ne réalise pas que cette espèce animale, qui est décidément intelligente, prend petit à petit conscience d'elle-même, puis de ses besoins. Elle a besoin d'espace, et la présence de l'homme lui est un obstacle : elle le chasse donc, car elle a, de longue date, cessé d'en avoir besoin (si ce n'est pour la livraison de certaines marchandises). Une guerre s'engage donc de la sorte. Il y a tout lieu de penser que, une fois débarrassés de l'homme, ces êtres inférieurs entreprendront entre eux une nouvelle guerre, pour un quelconque motif « élevé » qu'ils sont maintenant suffisamment civilisés pour découvrir par eux-mêmes.

    Il s'agit là de la trame d'un ouvrage purement fictif, bien entendu, dans lequel les êtres inférieurs sont des salamandres. Karel Capek, qui naquit en 1890 et mourut en 1938, est un des plus grands écrivains tchèques modernes. Il créa en 1920, dans sa célèbre pièce « R.U.R. », le mot robot, et cette « Guerre des salamandres » relève elle aussi de la science-fiction. 

    Les préoccupations de Karel Capek, telles qu'elles se révèlent dans le présent roman, ne sont pas d'ordre scientifique ; elles se rattachent évidemment au domaine social, comme celles de Wells. Mais l'écrivain anglais voyait dans la science un mal qui, en bouleversant les habitudes sociales, menaçait l'humanité ; l'auteur tchèque estime quant à lui que les hommes portent en eux-mêmes les défauts susceptibles de les conduire à leur perte. Il expose ces défauts tout au long de l'ahurissante histoire de ces salamandres auxquelles s'attache un brave loup de mer et dont un, multimilliardaire organise, presque sans le vouloir, l'exploitation. Une main-d'œuvre bon marché : c'est ce que représentent, aux yeux des commerçants et des industriels, ces animaux intelligents. Il n'y a, de la part de ces hommes, aucune méchanceté systématique, aucun sadisme. Ils prennent certains engagements à l'égard de ces frères inférieurs, ils se montrent prêts à reconnaître leur excellence dans plusieurs domaines. S'il se moque des bureaucrates, des coupeurs de cheveux en quatre et des politiciens, Karel Capek ne sous-entend pas qu'ils représentent l'ensemble de l'humanité. Il est vrai qu'il n'épargne pas grand monde : Anglais et Allemands, catholiques et communistes, savants et diplomates, sont tour à tour égratignés par la plume caustique de Karel Capek. L'ironie de l'auteur est d'autant plus mordante qu'elle se manifeste à travers l'accentuation très légère de certains travers représentatifs de tel groupe professionnel ou ethnique ; il suffit d'un petit coup de pouce pour amener le ridicule – et c'est probablement ce qui rend l'auteur sévère : trop de gens se prennent au sérieux alors qu'en fait ils prêtent à rire par leur sérieux même.

    Quant aux salamandres… elles n'ont guère, dans ces pages, qu'une personnalité collective. Karel Capek n'en a pas fait des sortes de « bons sauvages », fort heureusement : il montre au contraire que – tout simplement par leur intelligence, peut-être – elles sont guettées par les mêmes tentations et les mêmes faiblesses que nous autres hommes. De là à voir en ces pages une fable dans laquelle les salamandres représentent simplement une humanité moins évoluée que la nôtre…

    Le style de Karel Capek est alerte, vif, plein d'humour à travers une gravité apparente, accumulant les détails en apparence sérieux pour en faire surgir le grotesque ; il est excellemment rendu en français par la traduction de Claudia Ancelot. Plusieurs notations feront peut-être songer aux Animaux dénaturés de Vercors. Il y a cependant lieu de noter que ce dernier roman parut en 1952, alors que celui de l'auteur tchèque fut écrit en 1935.

    À côté des qualités de ces pages, il serait cependant injuste de ne pas relever aussi une faiblesse : le ton baisse étrangement au cours du dernier tiers, un peu comme si l'auteur s'était fatigué à soutenir un récit brillant et rapide tout au long des deux premières parties. Lorsqu'il en arrive à la guerre des salamandres proprement dite, Karel Capek paraît manquer de souffle, et adopte un ton indifférent d'autant plus décevant qu'il apparaît après des passages magistralement enlevés.

    Mais cela ne constitue pas une raison suffisante pour ne pas lire ce livre. Les pages réussies en représentent de toute façon la majorité, et Karel Capek, s'il aime moraliser, sait le faire pour la bonne cause, et d'une manière souriante et ironique. Si l'on s'amuse en lisant cet ouvrage, on se met aussi à réfléchir après l'avoir refermé – tout comme cela se passe pour un autre roman, écrit quelques années plus tôt : « Le meilleur des mondes » de Huxley. Et un tel rapprochement ne constitue pas une mauvaise recommandation, bien au contraire.

Demètre IOAKIMIDIS
Première parution : 1/5/1961
Fiction 90
Mise en ligne le : 25/1/2025

Cité dans les listes thématiques des oeuvres suivantes
Le Science-Fictionnaire - 2 - Animaux
Adaptations (cinéma, télévision, BD, théâtre, radio, jeu vidéo...)
La Guerre des Salamandres , 2018, Robin Renucci

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