Jerry Cornélius avait revêtu une chemise jaune citron, une large lavallière noire, un gilet vert foncé et un pantalon serré aux hanches assorti de chaussettes noires et de bottes noires faites à la main. Il enfila sa veste de sport noire à double boutonnage, ses gants de cuir noir, et dès qu'il eut mis ses lunettes noires, il fut prêt à affronter le monde. Il attrapa alors son pistolet à aiguille, en vérifia la pression et sauta dans sa Duesenberg étincelante. Il se sentait en pleine forme pour l'attaque du faux Le Corbusier de feu son père... Au même moment, Miss Brunner au volant de sa Lotus vrombissante venait de décider qu'elle devait se faire Jerry Cornélius. Un beau petit lot bien appétissant. Elle commençait elle aussi à se sentir en forme pour l'attaque...
Michael Moorcock est né en 1939, à Londres. Après des études secondaires cahotantes, il devient en 1963 le rédacteur en chef de Science Fantasy, puis de New Worlds dont il va faire la plus célèbre révue d'avant-garde de la science-fiction. Aussi à l'aise dans la fiction spéculative que dans l'Héroic Fantasy, Michael Moorcock devient très jeune le chef de file de la science-fiction britannique.
1 - John CLUTE, Comment Michael Moorcock reprit possession de Jerry Cornelius (1977), pages 299 à 314, postface, trad. Jean-Paul WAUTIER
Critiques
Une nouvelle édition, revue et corrigée, du premier roman mettant en scène le célèbre Jerry Cornélius (la première édition était parue en 1972 au CLA, couplée, si je me souviens bien, avec Le navire des glaces). Qui est Jerry Cornélius ? Il est à la SF « new wave » (plus si « new » !) ce qu'Elric le Nécromancien est à l'heroic-fantasy : un pivot central, un élément premier de la mythologie afférente. Personnage ambigu, ambivalent, amoral, élégant, sans scrupules mais non sans émotions — le genre de héros positivement révolutionnaire dont l'Angleterre avait bien besoin à la fin des années soixante — au moment où les Beatles devenaient une institution, où la musique devenait américaine, où la crise se faisait (déjà !) sous-jacente. Jerry Cornélius, riche et raffiné, musicien et aventurier, Londonien branché : le rêve, à cette époque, de tout musicien zonard de Ladbroke Grove (le quartier préféré de Moorcock — le centre nerveux de Londres, là où presque tout se passe).
L'histoire ? A la limite, elle n'a en elle-même que peu d'importance. Elle n'est, comme le montre John Clute dans sa postface, qu'une variation sur un thème — le thème étant Jerry Cornélius lui-même, la lente décomposition de Londres, la fin d'un certain âge d'or. Au cours de ces aventures, parmi la foule de personnages hétéroclites et bigarrés que va rencontrer Cornélius, il en est deux particulièrement intéressants. Miss Brunner, une sorte d'informaticienne intemporelle, froide et logique, dont le Grand But est de rassembler toutes les connaissances humaines en un vaste Programme Final au sein d'un ordinateur géant, lequel programme doit déboucher sur la création d'une sorte de surhomme hermaphrodite, nouveau Messie d'une humanité en déroute — Miss Brunner représente peut-être ce qui effraie Moorcock (ou Cornélius) chez la femme : le vampirisme (réel dans l'histoire), la domination irrésistible, le côté « femme fatale » ... à plus d'un titre. Et puis son contraire : Miss Una Persson, une Suédoise aimante et gentille qui parviendra à épouser Cornélius et à le stabiliser un moment. Ce nom ne vous dit rien ? Souvenez-vous... La voyageuse du temps dans la trilogie Les danseurs de la fin des temps... qui voyage en compagnie du capitaine Bastable (La défonce Glogauer) et rencontre (de nouveau ?) Jherek Carnelian, frère presque jumeau de Jerry Cornélius !
En fait, tout cela n'est finalement qu'un seul gigantesque opéra, aux multiples mouvements indépendants mais interconnectés, l'œuvre majeure d'un musicien génial et fou — ce qu'est aussi Michael Moorcock.
Cité dans les Conseils de lecture / Bibliothèque idéale des oeuvres suivantesJean-Bernard Oms : Top 100 Carnage Mondain (liste parue en 1989) pour la série : Jerry Cornelius
Adaptations (cinéma, télévision, BD, théâtre, radio, jeu vidéo...)Les Décimales du Futur
, 1973, Robert Fuest