Le nom de Léo Szilard est sans doute plus connu des physiciens que des amateurs de science-fiction. Il appartient à un savant originaire d’Europe centrale, établi depuis plusieurs années aux États-Unis, et qui fut notamment un des premiers à observer, indépendamment de Halban et de Fermi, la libération de neutrons dont s’accompagnent les fissions nucléaires. Professeur à l’Université de Chicago, Léo Szilard lutte depuis plusieurs années contre la course aux armements atomiques, et le cancer dont il est atteint n’a aucunement entamé son courage.
La personnalité du savant est donc digne d’estime et de respect. Cependant, il ne suffit pas de posséder une formation scientifique solide pour être à même d’écrire de la science-fiction intéressante. Eric Temple Bell, mathématicien qui signa « John Taine » ses romans d’anticipation, puis Isaac Asimov et Arthur C. Clarke, illustrent l’exception plutôt que la règle dans ce genre où les qualités de narrateur sont importantes. Or, les dons de Léo Szillard en ce domaine sont pour ainsi dire nuls. Le savant est distingué, mais l’écrivain demeure franchement ennuyeux. À en juger par les nouvelles présentées dans ce livre, Léo Szilard est beaucoup plus habitué à la rédaction de rapports d’expériences ou de comptes rendus de réunion scientifiques, qu’à celle de simples récits.
Ce défaut n’est encore pas trop insupportable dans la nouvelle intitulée « Mon procès comme criminel de guerre », et dont le sujet est, très exactement, ce que le titre annonce. Postulant une reddition inconditionnelle des États-Unis à l’U.R.S.S., l’auteur résume avec un certain humour les jugements imaginaires de divers personnages importants (il se place d’ailleurs modestement lui-même aux côtés d’accusés nommés Bymes et Truman). Cela fait passer sur la minceur de l’argument.
Les choses se gâtent dans « La fondation Mark Gable », également raconté à la première personne. Le thème du sommeil prolongé est ici lamentablement gâché, et ne donne lieu qu’à d’insipides exposés pseudo-didactiques, dont le ton alourdit péniblement l’ironie. On a l’impression que l’auteur ignore complètement ce qu’on appelle science-fiction, et qu’il se contente d’esquisser un semblant d’idée – d’ailleurs déjà connue, ce qui n’est intrinsèquement pas un mal – sans chercher à en tirer le moindre semblant d’action – ce qui est un défaut grave. Les sujets qu’il présente aux lecteurs ont déjà été traités, et de façon incomparablement plus brillante. Est-il besoin de citer « Quand le dormeur s’éveillera », de Wells ou « Une porte sur l'été », de Heinlein ? La comparaison de ces récits avec « La fondation Mark Gable » est écrasante pour Léo Szilard.
Et comment ne pas évoquer « La guerre des salamandres », de Capek, à propos du long – beaucoup trop long – récit qui donne son titre au présent livre ? Il s’agit dans un cas comme dans l’autre, d’une race d’animaux qui se révèle soudainement très intelligente (encore que, dans « La voix des dauphins », les derniers paragraphes suggèrent que les rapports prouvant cette intelligence pourraient bien avoir été truqués – sans doute s’agit-il là de la « chute » finale). Mais, alors que l’auteur tchèque développait avec brio les possibilités de bouleversement qui en résultaient pour la société humaine, Léo Szilard se contente d’exposer un plan de désarmement qui termine la guerre froide. L’intention est louable, mais cela ne suffit pas pour animer un récit.
Quant à « Appel aux étoiles », où une race lointaine s’inquiète des explosions atomiques observées sur la terre, et à « Rapport sur la grande gare centrale », où une autre race d’extra-terrestres s’efforce de reconstituer nos mœurs à partir des W.C. payants d’une grande gare, il s’agit à nouveau de sujets que l’auteur rend ennuyeux par son manque de métier.
Le livre s’ouvre par « Cauchemar pour le temps futur », qui porte la signature de Stephen Vincent Benet. On ne s’explique guère l’inclusion de ce récit dans un recueil publié sous le nom de Léo Szilard, mais ces quelques pages peuvent servir de repoussoir au reste du volume : elles montrent ce qu’un écrivain est capable de tirer d’un sujet rejoignant les préoccupations de Léo Szilard.
La science est une chose dangereuse, telle est la leçon qui se dégage de ce livre. Qu’on partage ou non ce point de vue, il faut bien reconnaître qu’il a déjà été exposé ailleurs avec beaucoup plus d’éloquence et de talent.
Demètre IOAKIMIDIS
Première parution : 1/5/1962 dans Fiction 102
Mise en ligne le : 29/12/2024