Oscar Wilde voyait en Dracula (1897) « le plus beau roman du siècle ». Mais voilà, ce succès mondial — tant littéraire que cinématographique — allait occulter le reste de l'œuvre fantastique de Bram Stoker (1847-1912), tout aussi remarquable et dont nous publions dans ce recueil deux romans et quatre nouvelles. Le Repaire du Ver Blancévoque la survivance, dans l'Angleterre rurale, d'un culte païen voué à l'adoration d'une monstruosité souterraine. Quant aux amateurs de momies, ils ne seront pas déçus avec Le Joyau des sept étoiles : une reine égyptienne ressuscite cinq mille ans après sa mort. L'Enterrement des rats est un récit de pure terreur se déroulant dans une banlieue parisienne fantasmatique, envahie par les ordures de la métropole et où survivent des chiffonniers plus dangereux que des fauves. Les trois dernières nouvelles ont elles aussi ce pouvoir d'inquiétude qui est la marque de ce grand écrivain.
1 - Patrice DUVIC, Préface, pages 5 à 9, préface 2 - Le Repaire du ver blanc (The Lair of the White Worm, 1911), pages 11 à 188, roman, trad. François TRUCHAUD 3 - Le Joyau des Sept étoiles (The Jewel of Seven Stars, 1903), pages 189 à 421, roman, trad. Jacques PARSONS 4 - L'Enterrement des rats (The Burial of the Rats, 1896), pages 425 à 455, nouvelle, trad. Jean-Pierre KRÉMER 5 - Un rêve de mains rouges (A Dream of Red Hands, 1894), pages 456 à 467, nouvelle, trad. Jean-Pierre KRÉMER 6 - Le Secret de l'or qui croît (The Secret of the Growing Gold, 1892), pages 468 à 482, nouvelle, trad. Jean-Pierre KRÉMER 7 - Une prophétie de bohémienne (A Gipsy Prophecy / The Christmas Spirit, 1885), pages 483 à 494, nouvelle, trad. Jean-Pierre KRÉMER 8 - Xavier LEGRAND-FERRONNIÈRE, Bibliographie, pages 495 à 507, bibliographie
Critiques
On ne le dira jamais assez : Bram Stoker n'est pas l'écrivain d'une fiction. La première raison d'être de ce recueil (deux romans, quatre nouvelles) est bien de prouver que l'auteur irlandais ne compte pas seulement à son actif Dracula. Il serait dommage d'ailleurs de passer à côté de son récit égyptien, Le Joyau des Sept Étoiles (1903), tant il s'inscrit avec éclat dans la tradition littéraire qui représente les mystères de l'Orient au cœur de l'Angleterre victorienne. En se portant au secours de Margaret Trelawny et de son père, le narrateur Malcolm Ross ne se doute pas qu'il va devenir un des acteurs principaux dans la résurrection d'une momie. Dans l'intervalle, le roman de Stoker fait feu de tout bois pour tisser la narration : au mystère de la chambre close propre à l'intrigue policière s'ajoutent l'aventure exotique — vécue par l'entremise d'un in-folio en Hollandais de 1650 et du témoignage de Corbeck, l'assistant de Mr. Trelawny — et les manifestations fantastiques — surtout le corps astral et la main coupée vengeresse chère à Maupassant et à Nerval. Sans compter la romance entre le narrateur et Margaret, le gothique omniprésent (la caverne sous la maison de Cornouailles), les nombreux débats sur l'hypnotisme et les développements sur l'électricité. De quoi donner le tournis au lecteur !
Le Repaire du ver blanc (1911), plus décevant parce que moins maîtrisé, puise dans le folklore celte et fait aussi la part belle au mesmérisme et au monstre enfoui dans les tréfonds d'une demeure perchée sur une falaise battue par les flots. On rappellera tout de même la curieuse adaptation cinématographique de Ken Russell en 1988. Côté nouvelles, Stoker, sans être un faiseur de génie à l'instar de Poe, livre de bons textes à effet. L'Enterrement des rats (1914), qui voit le narrateur se perdre dans le quartier des chiffonniers, coupe-gorge croulant sous les immondices, orchestre à merveille l'horreur de la situation. La masse des poursuivants, effroyables rats humains, préfigure les hordes de morts vivants qui déferleront sur nos écrans. Le Secret de l'or qui crîit (1892) s'apparente à une farce noire, où la chute donne tout son sens au titre : l'or qui croît désigne en fait la chevelure d'une femme blonde emmurée. Pour finir, deux textes courts sur le thème de la prémonition : Un Rêve de mains rouges (1894) décrit un cauchemar qui devient réalité et Une Prophétie de Bohémienne (1914), une prédiction sanglante qui faillit se vérifier.
Ce volume, comme tous ceux de la collection Bibliothèque du fantastique, est indispensable... d'autant qu'il est enrichi d'une belle préface de Patrice Duvic et d'une bibliographie signé Xavier Legrand-Ferronnière.
Guy ASTIC Première parution : 1/7/1998 dans Ténèbres 3 Mise en ligne le : 12/10/2003