LE TEMPS DES LOUPS BLANCS
Il y a un an à peine, Jean-Marc Ligny publiait son premier texte,
Artésis comment ?, dans l'anthologie que Philippe Curval consacrait aux jeunes auteurs,
Futur au présent (Coll. Présence du futur). Douze mois plus tard, le voilà en solo dans la même collection pour son premier roman. A 23 ans, c'est pas mal non ?
Temps Blancs c'est une Cité piégée par l'inexorable glaciation environnante, une Cité aux mains des Ordinateurs qui gèrent les citoyens-lemmings grâce à des moyens rapides et efficaces : la Cospo, les Killdozers, les sondeurs psychomagnétiques, les micro-yeux homéostatiques ; c'est la Périphérie, « labyrinthe de routes désertes, jungle de ruines industrielles », zone instable et incertaine, incertaine et floue au visage de mille morts et où vivent, survivent plutôt, Mutants et Tarés ; c'est l'immensité blanche de la Campagne dans laquelle rôdent des hordes sauvages de loups blancs télépathes.
Temps Blancs c'est un univers de violence et de givre et d'apocalypse glacée, un univers dont les paysages de mort, figés, prophétisent l'ultime destinée de notre civilisation en proie à la mort de l'affectivité, civilisation qui gèle les rapports humains et castre les individus. Les pluies acides rongent les gens, les grands loups blancs chers à Freud dévorent les errants, le silence et le froid pétrifient tandis que la drogue et la schizophrénie déploient leur vertige chronolytique.
Temps blancs c'est le refus de cette déshumanisation, le refus de la castration, le refus d'un monde sans tendresse, d'un monde sans chaleur, le refus d'un mode de pensée binaire et manichéen. Les multiples personnages du roman sont tous à la recherche d'une issue, quêtes diverses et désespérées, parfois violentes, parfois mystiques, parfois humanistes, pour échapper au froid de l'âme et du corps.
« La réalité échappe toujours à qui veut s'en saisir » (p. 213). Aussi, pour donner à voir le monde de
Temps blancs, Jean-Marc Ligny a rejeté la linéarité totalitaire, éclatant son propros en cent-dix courts paragraphes, traversés par une trentaine de personnages. La morcellisation du récit renvoie à la morcellisation de l'individu selon un nihilisme littéraire cher à Joël Houssin et Daniel Walther. Mais à la fureur bouillonnante du Houssin de
Locomotive rictus 1 ou la logorrhée vénéneuse de l'auteur de
Krysnak, Ligny a préféré la froideur d'une narration acérée. Cependant, malgré l'adéquation certaine entre le propos et la forme utilisée, la structure éclatée du récit ne m'a pas pleinement convaincu, de même que la sarabande des personnages, réduits souvent à un nom. Reproches mineurs malgré tout devant la maîtrise du roman et ses qualités d'écriture évidentes.
A vos raquettes !
Notes :
1. Il existe une filiation très nette entre Locomotive Rictus et Temps blancs, deux romans placés sous le signe du loup et de sa signification freudienne, à savoir l'angoisse de castration (Cf. mon analyse de Locomotive Rictus dans Fiction 264).
Denis GUIOT
Première parution : 1/7/1979 dans Fiction 303
Mise en ligne le : 11/11/2009