Un petit comptable aux approches de la quarantaine, Edward Henderson, et un jeune mécanicien de vingt-cinq ans, Roger Bannon, se livrent aux joies de l'hypnotisme dans la ville australienne de Perth. Après une expérience apparemment plus corsée que les autres, ils se trouvent avoir subi (pour employer le jargon de l'auteur) une intertransmigration : l'esprit (ou l'âme, ou la conscience) de Henderson occupe le corps de Bannon, et vice versa. Telle est la substance principale du roman de G.M. Glaskin.
Qui est ce dernier ? Le texte de présentation du roman ne donne guère de détails à ce sujet et, à vrai dire, on n'est guère friand de ceux ci après avoir terminé son livre. La page de titre fait suivre son nom de l'indication esq. ce qui tendrait à établir qu'il est du sexe masculin. On veut bien le croire, mais il y a certaines tournures du texte qui s'expliqueraient mieux sous une plume féminine.
En effet, l'histoire est racontée par le sieur Henderson, qui présente au lecteur ce qu'était son ami Bannon avant l'intertransmigration. Il le fait en ces termes : « C'était plutôt un joli garçon au physique agréable, du genre blond et enfantin. Et pourtant il ne paraissait pas conscient de ses charmes, ce qui le rendait encore plus aimable : de grands yeux bleus (…) le front bien dessiné (…) le nez petit mais droit (…). Sa bouche, je crois, était ce qu'il avait de mieux…» Cette curieuse attirance physique manifeste encore ses effets après que Henderson a revêtu l'enveloppe corporelle de celui dont il décrit le charme « J'étais poussé par l'envie d'arracher les vêtements que je portais et de promener ces mains nouvelles et plus puissantes sur mon corps. Je voulais sentir et explorer son étendue et ses accidents, cette poitrine plus large qui se gonflait tellement plus quand je respirais, ce ventre plus plat et plus dur que n'avait jamais été le mien, les hanches étroites et les fesses fermes, les cuisses et les mollets plus larges. »
Le narrateur éprouve d'ailleurs un tel intérêt à l'égard de ce nouveau lui-même qu'il ne s'occupe pratiquement plus de celui qui a revêtu son propre corps : on apprend vaguement que ce dernier est la victime de Mme Henderson, qu'il a une dépression et qu'il passe à l'hôpital. Il se suicide d'ailleurs obligeamment à la fin du livre, laissant ainsi Edward profiter en toute quiétude des attraits et avantages du corps de Roger.
Le sujet de l'intertransinigration, puisque intertransmigration il y a, n'est pas plus mauvais qu'un autre, même s'il n'est pas nouveau. Conan Doyle en avait tiré une divertissante nouvelle, « The great Keinplatz experiment ». Celui de l'individu qui subit brutalement une transformation de son apparence physique avait fourni à Marcel Aymé son roman « La belle image » qui, sans être un de ses meilleurs, se lisait néanmoins avec plaisir. On ne peut malheureusement pas en dire autant de ces « Billets de logement ».
Tout se passe avec une telle lenteur, dans ces pages, que le lecteur le plus patient finit par lâcher prise. L'auteur n'a pas fait son héros très intelligent ni très décidé : c'était évidemment son droit. Mais il eût mieux valu, en ce cas, nous épargner ses interminables réflexions, l'expression sans cesse renouvelée de sa stupéfaction et de la nécessité qu'il y a, pour lui, de s'adapter à sa nouvelle condition. Edward Henderson revient à lui : il explique sur cinq pages ses sensations, ce qui peut se comprendre. Il échange ensuite, sur une vingtaine de pages, ses impressions avec celui qui « porte » maintenant son corps. Avant de s'endormir, il nous régale de huit autres pages de ruminations. Et il ne faut pas croire que ses actions dénotent une rapidité plus grande : il se passe une bonne dizaine de pages entre le moment où sa femme arrive et celui où il commence à lui expliquer ce qui lui est arrivé (alors qu'il s'est longuement préparé, à l'avance, à l'idée de devoir lui faire ce récit).
À force de vouloir « sonner vrai », l'auteur n'a réussi qu'à nous présenter une sorte de film au ralenti, où la densité dégénère en lourdeur. Ses personnages sont conventionnels et monolithiques (l'épouse acariâtre et la bonne secrétaire dévouée formant un contraste, comme de juste), et son récit est fastidieux par l'abondance de notations inutiles et pesamment soulignées (ce dernier point est remarquablement conservé dans la version française).
Tout compte fait, ce livre est à ranger aux côtés de « La république lunatique », des « Faits d'Eiffel », du « Règne du bonheur » et de quelques autres : parmi les « Présence du Futur » dont la publication ne s'imposait guère.
Demètre IOAKIMIDIS
Première parution : 1/3/1962 dans Fiction 100
Mise en ligne le : 30/12/2024