Site clair (Changer
 
    Fiche livre     Connexion adhérent
Les Dieux incertains

M. John HARRISON

Cycle : Viriconium  vol. 3 

Traduction de Jean-Pierre PUGI
Illustration de Guillaume SOREL

GALLIMARD (Paris, France), coll. Folio SF précédent dans la collection n° 156 suivant dans la collection
Dépôt légal : décembre 2003, Achevé d'imprimer : 2 décembre 2003
Réédition en omnibus
Recueil de romans, 336 pages, catégorie / prix : F10
ISBN : 2-07-042329-8
Format : 10,8 x 17,8 cm
Genre : Fantasy


Quatrième de couverture
     L'espoir avait déserté la Cité pastel. Les dieux, à force de vouloir imiter la bassesse humaine, erraient ivres morts dans la rue et se roulaient dans la boue des caniveaux. La trame du temps était si usée que celui-ci perdait peu à peu toute signification. Tout s'effondrait entre les murs de Viriconium et la lèpre qui s'était emparée de la Ville basse se ramifiait maintenant en direction des quartiers nobles. Une lèpre qui allait bientôt tuer la dernière grande artiste de ce monde en perdition.
     Dans cette cité, jadis brillante, où les arts et la magie se mouraient lentement, il ne resta bientôt plus qu'un seul homme pour se mettre en travers du chemin de la décadence. Mais n'était-il pas déjà trop tard ?
 
     Par son environnement baroque et son inimitable atmosphère de lente apocalypse hors du temps, Les dieux incertains conclut avec virtuosité la publication de l'intégrale du mythique Cycle de Viriconium.
 
     Né en 1945 au Royaume-Uni, M. John Harrison a publié sa première nouvelle en 1966, avant de s'impliquer une dizaine d'années dans le magazine New Worlds, alors dirigé par Michael Moorcock. Il est l'auteur de La mécanique du Centaure, space opera halluciné précurseur des œuvres de Iain M. Banks.
Sommaire
Afficher les différentes éditions des textes
1 - La Danse de l'insecte (The Dancer from the Dance, 1985), pages 9 à 47, nouvelle, trad. Jean-Pierre PUGI
2 - La Tête porte-bonheur (The Luck in the Head, 1984), pages 49 à 88, nouvelle, trad. Jean-Pierre PUGI
3 - Tegeus-Cromies et la Lamie (The Lamia and Lord Cromis, 1971), pages 89 à 125, nouvelle, trad. Jean-Pierre PUGI
4 - Les Dieux incertains (The Floating Gods, 1983), pages 127 à 297, roman, trad. Jean-Pierre PUGI
5 - Voyage d'un jeune homme à Viriconium (A Young Man's Journey to Viriconium, 1985), pages 299 à 333, nouvelle, trad. Jean-Pierre PUGI
Critiques
[Chronique portant à la fois sur les tomes 2 et 3 du cycle.]

     M. John Harrison ne fait pas franchement l'unanimité. Il suffit de parcourir quelques Forums ou plusieurs critiques pour s'en convaincre. « Sous-Moorcock » pour les uns, « style illisible » pour les autres, cet Anglais discret et sympathique (que les chanceux présents aux Utopiales de Nantes ont eu l'occasion de rencontrer) n'est pas un auteur facile, loin s'en faut. Obscurs, parfois difficilement compréhensibles, voire franchement « circonvolutionnés », ses romans sont pourtant intelligents, curieux, inventifs, drôles (oui oui) et surtout déraisonnables. Deuxième et troisième parties de l'improbable cycle de « Viriconium », Le Signe des locustes et Les Dieux incertains ne dérogent pas à la règle. Leurs détracteurs devraient donc se compter par centaines (au moins). Reste que les colonnes de Bifrost sont un lieu où il est encore possible d'exprimer ses opinions sans craindre l'excommunication. Disons-le donc tout net : oui, M. John Harrison est injustement méconnu et sans doute injustement critiqué. « Viriconium » est un chef-d'œuvre du bizarre, du fou, du n'importe quoi, traversé çà et là de traits bouleversants (rendez-vous aux dernières pages), l'ensemble du texte démontrant deux choses : Harrison sait prodigieusement bien écrire, et il s'amuse beaucoup. Il détourne, retourne, dévie, revient, repart, compare, mais (surtout) évite comme la peste les sujets-verbes-compléments. Il ne suffit évidemment pas de « faire compliqué » pour prétendre à l'excellence, mais Harrison y ajoute l'imagination, la densité, le théâtral (trop, diront certains), le grotesque, l'horreur et un savoir-faire tout sauf fantomatique. « Viriconium » 2 et 3 (et, par la même, l'œuvre entière d'Harrison) ne plairont donc pas aux fans d'Asimov, parce qu'ils s'inscrivent dans une tradition littéraire exigeante, complètement barrée et résolument « adulte ». L'auteur prend nettement position, à nous de le suivre, ou pas...

     Reprenons.

     [...] 1

     Avec une couverture qui fera sans doute date comme l'une des plus laides de la littérature contemporaine (tout comme Alain Brion un peu plus haut, on a connu Guillaume Sorel plus inspiré, et c'est rien de le dire !), Les Dieux incertains démarre assez mal... Autant savoir que le délire aperçu avec Le Signe des locustes fait figure de conte d'une lumineuse clarté à côté de ce contestable tome 3. Le roman s'enrichit d'ailleurs de trois nouvelles, dont la dernière (« Voyage d'un jeune homme à Viriconium ») éclaire (ou obscurcit, c'est selon) quelque peu la nature parallèle du monde dépeint par Harrison. De fait, le compagnonnage de l'auteur doit autant à Moorcock qu'à Mathurin ou Mervyn Peake, et ce n'est pas innocent si un auteur comme China Miéville rend à Harrison ce qui appartient à Harrison.

     Située bien après les deux premiers tomes (mais peut-on raisonnablement parler de tomes ?), l'action de cette dernière partie relève beaucoup plus de l'allégorie évanescente que de la prosaïque linéarité narrative. Un fléau semble s'abattre sur la ville basse, menaçant bientôt la ville haute, refuge de la noblesse et de l'élite. Invisible à l'œil nu (ou alors seulement de loin), ce fléau se caractérise par la lente dissolution de la substance même de la réalité. Les personnages, choses et ordures semblent se fondrent dans un même flou gangrené, alors que la déliquescence de cette cité autrefois florissante semble s'accélérer. Témoins (et acteurs ?) de cette profonde dégénérescence, deux frères braillards, ivrognes et immondes, traînent sur les pavés en incarnant toute la mauvaise conscience du monde. Mais leur nature semble pourtant plus proche de la divinité (à priori, les dieux incertains, c'est eux) que ne veut bien le laisser croire leur pitoyable apparence. En parallèle, on suit les aventures (doucement, quand même) d'un peintre radical connu pour la férocité de ses œuvres. Bien décidé (mais vraiment doucement, hein) à sortir une femme peintre célèbre de la zone de quarantaine, il échafaude plusieurs plans (tous voués à l'échec) pour la ramener vers la ville haute, loin d'une maladie qui semble consumer aussi bien sa santé mentale que physique. Sur ce postulat à priori incompréhensible, Harrison manie avec brio son style inimitable, fait d'impasses stylistiques, de pièges littéraires et de sous-entendus violemment ironiques qui posent inévitablement la question ultime : se fout-il de notre gueule ? Oui, certainement, mais avec humour, charme et tendresse, d'où son absolution immédiate.

     Avant d'aborder Les Dieux incertains proprement dit, on pourra s'attarder sur la nouvelle « Tégeus Cromis et la lamie », dans laquelle le héros fameux et magnifique de La Cité pastel fait un retour en force, avec une histoire de traque-au-monstre qui n'est pas sans rappeler la bête du Gévaudan et son cortège de mystères.

     Au final, Le cycle de « Viriconium » est une œuvre terriblement « à part » dans la S-F d'aujourd'hui, mais son audace stylistique et la circonvolution permanente qui la caractérisent la positionnent d'emblée sur le secteur des OLNI indispensables, à prendre ou à laisser, en fonction des goûts de chacun. Peut-on parler d'anti-S-F ? Peut-être. En attendant, l'un des personnages de Harrison précise d'ailleurs que « plusieurs critiques tentent de présenter ses œuvres comme une suite d'images sans valeur narrative que seul son art lie les unes aux autres. » Une description qu'on peut aisément appliquer à « Viriconium », même si Harrison la réfute. Qu'en faire, donc ? Honnêtement, c'est à vous de voir...

Notes :

1. La partie de cette chronique portant explicitement sur Le Signe des locustes n'a pas été reproduite ici, se reporter à cet ouvrage. [note de nooSFere]

Patrick IMBERT (site web)
Première parution : 1/4/2004 dans Bifrost 34
Mise en ligne le : 11/5/2005

retour en haut de page

Dans la nooSFere : 87273 livres, 112165 photos de couvertures, 83709 quatrièmes.
10815 critiques, 47158 intervenant·e·s, 1982 photographies, 3915 adaptations.
 
NooSFere est une encyclopédie et une base de données bibliographique.
Nous ne sommes ni libraire ni éditeur, nous ne vendons pas de livres et ne publions pas de textes. Trouver une librairie !
A propos de l'association  -   Vie privée et cookies/RGPD