La collection « Star Trek » du Fleuve Noir semble rencontrer un bon succès, et aligne titre intéressant sur titre intéressant — en sélectionnant à la fois des romans couramment disponibles aux USA et d'autres, plus anciens, pas encore réédités là-bas. Il y a bien longtemps que les romans « Star Trek » sont devenus aux USA un sous-genre de la SF en eux-mêmes, tant le phénomène Star Trek a une ampleur phénoménale (il y a d'ailleurs toujours au moins deux titres Star Trek dans les listes de best-sellers du New York Times, en hardback et en poche !) et tant les romans de la série savent développer (simultanément) une unité (de cadre, de ligne temporelle — de plus en plus sérieusement établie, sous forme d'une véritable Histoire du Futur) et une diversité (de styles et de thèmes abordés).
J'ai bien dit « diversité », oui : cela va du
space opera traditionnel au roman noir urbain, du roman
hard science (lisez donc l'excellent
Corona de
Greg Bear, dans la même collection, vous verrez que pour faire « du »
Star Trek, un auteur n'en a pas pour autant besoin de mettre de côté ce qui fait sa « manière » habituelle) à l'espionnage, de l'horreur au... roman historique.
Et c'est à ce dernier genre, assurément le plus inattendu pour de la SF, qu'appartient Ishmaël.
Lors d'un arrêt de routine du vaisseau Entreprise à une base spatiale, monsieur Spock découvre qu'un bâtiment de transport de minerais semble suspect, et s'absente pour mener une petite enquête sur l'affaire. Il se retrouve prisonnier à bord du vaisseau pirate, et... disparaît, avec le vaisseau, dans un phénomène cosmique totalement inhabituel.
Lorsque Spock revient à lui, il est dans un lit, chez des humains habillés bizarrement. Sa mémoire est confuse, et ses hôtes (rejetant leur peur initiale d'un étranger aussi visiblement non-humain) l'adoptent dans leur famille, le (re)batisant Ishmaël. Ishmaël Marx. Nous sommes dans les années 1870, sur la côte Sud des futurs États-Unis d'Amérique, pas très loin d'une bourgade de colons nommée San Francisco...
Barbara Hambly a été récemment interviewée dans le cadre d'un spécial « Star Trek » de l'émission « Destination Série » sur Canal Jimmy, et elle expliquait avoir écrit ce roman à l'âge de 19 ans. Elle suivait les diffusions de la série dans les années 70, et était une grande fan, ce qui la conduisit à ce premier roman. Mais elle était également fan d'une autre série célèbre de l'époque (dont j'avoue n'avoir jamais entendu parler), « Here Comes the Bride », où jouait Mark Lenard. Ce nom ne vous dit rien ? C'est le seul acteur à avoir joué dans « Star Trek » des rôles de Vulcain, de Klingon et de Romulan, le premier personnage de l'ancienne série à être apparu dans les « Next Generation », et le seul personnage dont on connaisse la mort — Sarek, le père de Spock. S'inspirant donc à la fois de l'univers de « Here Comes the Bride », chez les colons américains à la fin du dix-neuvième siècle, et de celui de « Star Trek », Barbara Hambly a donc écrit ce roman assez unique, touchant, sensible, bien documenté, et vraiment astucieux (si je vous dis que la famille ayant recueilli Spock se nomme Stemple, et que la mère de Spock se nomme Amanda Stemple Grayson, vous me suivez ?...).
Barbara Hambly ne s'est pas arrêtée en si bon chemin : elle a depuis fait une carrière passionnante dans le domaine de la
Fantasy (souvenez-vous de l'article que lui a consacré
Sylvie Denis dans notre
Dossier Fantasy, YS #86). En fait, je la considère comme étant un(e) des auteur(e)s les plus intéressants du genre, à l'heure actuel. Même lorsqu'elle donne dans la
Fantasy la plus « générique », elle sait toujours appliquer aux thèmes une légère distorsion, ajouter quelques points d'ironie, qui font toute la différence (voir par exemple
Fendragon, aux Presses de la Cité).
Notes :
1. La fin de la chronique, qui portait sur le roman Le sang d'immortalité, est disponible sur la fiche de celui-ci. [note de nooSFere]
André-François RUAUD (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/3/1994 Yellow Submarine 108
Mise en ligne le : 4/3/2004